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Covid-19 : ces consultants au cœur de la « défaillance organisée » de l’État
Article mis en ligne le 8 août 2020

Après avoir accompagné et encouragé la réduction du nombre de personnels et la soumission de l’hôpital public aux contraintes gestionnaires, les grands cabinets de conseil – Boston Consulting Group, Capgemini, McKinsey… – se sont assuré un rôle clé auprès du pouvoir exécutif et de l’administration pour façonner la réponse à la crise sanitaire. (...)

Ce sont des acteurs méconnus de la gestion de l’épidémie du Covid-19. On les retrouve partout : auprès des hôpitaux et des autorités de santé pour les conseiller sur leur organisation, auprès du pouvoir exécutif pour aider à mettre en place le confinement et le déconfinement et à faire face à l’urgence et aux pénuries, auprès du ministère de l’Économie aujourd’hui pour flécher les aides aux entreprises et contribuer à l’élaboration des plans de relance. C’est l’un des grands enseignements du rapport « Lobbying : l’épidémie cachée » que l’Observatoire des multinationales a publié le 3 juin en partenariat avec les Amis de la Terre France.
« Ils », ce sont le grands cabinets de conseil en gestion : McKinsey basé à New York, Boston Consulting Group (BCG) et Bain à Boston, Accenture à Dublin, Roland Berger à Munich, Capgemini à Paris, ou encore Strategy& (ex Booz, appartenant aujourd’hui à PwC) et Parthenon (filiale d’Ernst & Young). Leur rôle est de conseiller leurs clients – des entreprises, des institutions publiques et privées, et même des États - sur leur stratégie et leur organisation.

On pourrait les comparer aux « Big Four » de l’audit et de la comptabilité - PwC, Ernst & Young, KPMG et Deloitte – auxquels ils sont parfois directement liés. Travaillant comme ces derniers à la fois pour le public et – surtout – pour le privé, ils contribuent à aligner le premier sur le fonctionnement et la vision de monde du second. Très impliqués dans la « révision générale des politiques publiques » de Nicolas Sarkozy, puis dans la « modernisation de l’action publique » de François Hollande, aujourd’hui dans la « transformation de l’action publique » d’Emmanuel Macron, ils sont à la fois les artisans et les profiteurs de la « réforme de l’État », selon l’euphémisme en vigueur pour désigner les politiques de réduction du nombre de fonctionnaires et de repli du secteur public. C’est-à-dire ces politiques mêmes qui apparaissent aujourd’hui comme l’une des principales causes des carences constatées face au Covid-19.

Quand les consultants organisent la réponse à l’épidémie

Un exemple, relaté par Mediapart, résume à lui seul le problème. L’un des principaux acteurs de la réforme de l’État depuis des années, le cabinet McKinsey, a été mobilisé en plein pic épidémique pour aider à mettre en place une task force interministérielle en vue du déploiement de tests sur le territoire français. Cette task force a rapidement confié une mission d’évaluation des capacités des laboratoires français à... une autre firme de conseil, Bain. Pendant ce temps, des dizaines de laboratoires publics et privés qui avaient offert leurs services dès le début de la crise attendaient, incrédules, que le gouvernement veuille bien leur répondre.
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Certaines de ces missions semblent avoir été réalisées gratuitement (peut-être pour maintenir les bonnes relations), d’autres ont été rémunérées. Une grande opacité règne sur ces contrats de conseil et leurs tarifs. (...)

À plusieurs reprises, leurs missions ont d’ailleurs suscité la controverse : comment justifier des contrats de conseil et d’accompagnement se chiffrant en centaines de milliers, voire en millions d’euros alors que les moyens matériels manquaient au quotidien ? Même la Cour des comptes a fini par s’en inquiéter en 2018, évoquant, à propos de ces prestations, « des résultats souvent décevants et des marchés fréquemment irréguliers ».
En arrivant dans les hôpitaux et l’administration de la santé, les consultants de Capgemini, McKinsey et BCG ont contribué à « la disqualification des expertises jusqu’alors considérées comme légitimes ... au profit d’expertises concurrentes et privées »,
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On peut même se demander si le choix de faire appel à ces conseils privés n’avait pas précisément pour objectif de modifier les rapports de force internes. Toujours selon Frédéric Pierru, cette transformation des hôpitaux s’est « traduite concrètement par un processus de bureaucratisation..., mais une bureaucratisation d’un nouveau type, qui peut être qualifiée de ’néolibérale’ donc, et qui se distingue de la bureaucratie classique par des phénomènes d’hybridation public-privé et par la diffusion des normes du ’privé’, du marché, de l’entreprise, de la concurrence et de la compétition ».
Quand bien même Emmanuel Macron fait miroiter un changement de doctrine à ce sujet, on semble bien parti pour continuer sur la même lancée.
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Quel est vraiment le pouvoir et l’influence réels de ces cabinets de conseil ? Comme beaucoup de professions similaires (lobbyistes, conseillers en communications...), les consultants en gestion et en stratégie tendent à exagérer fortement leur rôle quand ils parlent à des clients potentiels, et à le minimiser lorsqu’ils se retrouvent sous le feu des critiques. Certes, ces cabinets de conseil sont des acteurs clé de l’alignement croissant des pouvoirs publics sur les intérêts du secteur privé. Mais le simple fait qu’on fasse appel à eux est le signe que les décideurs étaient déjà largement convertis. Pour ce qui concerne la gestion de l’épidémie du Covid-19, leur omniprésence a surtout valeur de symptôme : celui de la « défaillance organisée » de l’État.