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Libération
Covid-19 : le « cygne noir » et les aveugles
Isabelle This Saint-Jean professeur d’économie à l’université Paris-XIII, secrétaire nationale du PS
Article mis en ligne le 2 avril 2020

Le terme « cygne noir » désigne un événement qui possède trois caractéristiques : il n’avait pas été anticipé, ses conséquences sont majeures et on peut expliquer a posteriori pourquoi il est apparu. Comme la pandémie que nous connaissons en ce moment.

Tribune. Nombreux sont les commentateurs qui aujourd’hui parlent de « cygne noir » afin de décrire le rôle joué par la pandémie du Covid-19 dans le déclenchement de la crise économique et financière qui secoue actuellement la planète.depuis au moins le rapport de 1990 du Giec, les scientifiques nous alertent explicitement sur le risque pandémique. Ecoutons-les : « Puisque le réchauffement climatique modifie les précipitations et la température, la répartition et l’abondance de nombreuses espèces vectrices devraient changer. Certaines maladies infectieuses, y compris les maladies parasitaires et virales, comme le paludisme, la schistosomiase et la dengue, peuvent augmenter dans de nombreux pays, en particulier dans les régions tropicales et subtropicales. » (...)

 Le lien entre réchauffement climatique et dégâts environnementaux, effondrement de la biodiversité et apparition de pandémies a été depuis maintes fois réaffirmé par les scientifiques. La lecture des rapports du Giec successifs apparaît rétrospectivement comme une longue litanie d’alertes similaires. (...)

En second lieu, lorsque la mondialisation se traduit par la circulation de plus en plus importante des hommes, des marchandises et les flux immatériels (information, capitaux) entre les différentes régions du monde, comment ne pas comprendre qu’une épidémie, lorsqu’elle frappe une partie du globe, a une très forte probabilité de se diffuser et de devenir « pandémie » ? « La grande peste du Moyen-Age avait déjà fait suite à l’émergence de la Route de la soie, rappelle le médecin Alexandre Mignon. (...)

En troisième lieu, n’était-il pas inévitable qu’une politique de finances publiques dont les maîtres-mots étaient « économie », « réduction du nombre de fonctionnaires », « RGPP », « gestion en flux tendus » et « T2A [la tarification à l’acte, ndlr] » se soit traduite par un hôpital public difficilement capable de faire face à une crise sanitaire ? Depuis des mois les personnels soignants ne criaient-ils pas leur inquiétude, leur épuisement et leur colère, face à la dégradation de leurs conditions de travail, sans même imaginer la situation de crise qu’ils auraient à gérer ? (...)

En quatrième lieu, comment avons-nous pu laisser la recherche manquer à ce point de financements et vouloir toujours lui tenir la bride pour la conduire sur des objectifs de court terme, souvent guidés uniquement par des considérations de débouchés économiques ? Une logique qui par exemple a conduit l’un de nos spécialistes des coronavirus à voir ses crédits coupés. (...)

En cinquième lieu, fallait-il que nous soyons devenus aveugles pour oublier que l’économie ne peut fonctionner sans des hommes et des femmes - en dépit des nouvelles technologies et des modifications qu’elles suscitent dans le travail et l’emploi ? Et qu’une pandémie ne pourrait pas ne pas avoir des conséquences majeures dans la production ? (...)

En sixième lieu, comment certains pouvaient-ils imaginer que, d’une part, les politiques monétaires menées par les banques centrales depuis des années consistant à inonder les marchés de liquidités, venues gonfler l’endettement certes des Etats mais surtout des entreprises et surévaluer les titres et, d’autre part, que la régulation trop partielle de ces marchés et du secteur bancaire, ne faisaient pas peser un risque majeur ? (...)

Tout cela était en réalité manifeste. Evident. Comme un cygne noir au milieu de cygnes blancs. L’heure n’est pas aujourd’hui à chercher les coupables d’un tel aveuglement. Et ceux qui voyaient portent eux aussi une part de culpabilité : celle de ne pas avoir pu ou su se faire entendre. L’heure est à la responsabilité et à la solidarité. Mais, dès à présent, tirons-en toutes les leçons afin de nous en servir demain dans la reconstruction qu’il nous faudra entreprendre et dans les actions qu’il nous faut prendre aujourd’hui en urgence pour lutter contre la triple crise qui nous frappe