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IRIN - nouvelles et analyses humanitaires
Crimes de guerre en Syrie : s’y retrouver dans l’imbroglio juridique
Article mis en ligne le 19 décembre 2016
dernière modification le 15 décembre 2016

Quelle justice pourrait être appliquée et pourquoi la qualification de « génocide » n’apporte-t-elle rien

Alep n’est rien de moins qu’une histoire d’horreur chaotique. Les civils qui ont survécu sont soit pris au piège, soit en fuite, soit tapis sous les décombres des bombardements qui se poursuivent. (...)

La communauté internationale n’a pas pu, ou pas voulu, arrêter la guerre. Mais tentera-t-elle au moins de traduire en justice ceux qui ont commis les pires crimes ? Les cinq dernières années ont été ponctuées d’accusations de « crimes de guerre » et même de « génocide », mais que signifient exactement ces termes et s’appliquent-ils aux évènements qui ont eu lieu en Syrie ?

IRIN a fait appel à des spécialistes pour s’y retrouver dans le dédale du droit international et faire le point sur la façon dont les choses se présentent d’un point de vue juridique :

Peut-on parler de génocide ?

Au vu des photos et vidéos traumatisantes de corps ensanglantés sous les ruines d’Alep (et d’ailleurs), il n’est pas surprenant que les évènements de Syrie soient considérés par beaucoup comme « le crime des crimes » : un génocide.

La plupart des spécialistes estiment cependant que la Syrie n’a pas été le théâtre d’un génocide, du moins pas selon les critères juridiques instaurés par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948. Ce texte a en effet été rédigé avec un évènement bien particulier en tête : l’Holocauste.

Pour établir qu’un génocide a été perpétré, il faut démontrer que l’intention de l’auteur des actes était de détruire un groupe racial, ethnique, national ou religieux.

En raison de l’étroitesse de cette définition et des « difficultés à prouver de telles intentions, la majorité des crimes commis en Syrie ne saurait être qualifiée de génocide », a expliqué Marko Milanovic, professeur agrégé en droit à l’université de Nottingham.

« Cela ne signifie pas cependant que ces crimes sont moins déplorables et répréhensibles », a-t-il souligné en rappelant que tuer des homosexuels, des handicapés ou des opposants politiques ou sociaux ne constituerait pas non plus un génocide.

C’est d’ailleurs pour cette raison que les « champs de la mort » du Cambodge — où plus d’un million de personnes ont été assassinées en raison de leur classe sociale ou parce qu’elles étaient soupçonnées d’être opposées au régime Khmer rouge — n’ont pas non plus obtenu cette désignation.

Un tel crime a toutefois peut-être été commis en Syrie : en juin 2016, la commission d’enquête des Nations Unies sur la Syrie a conclu que l’autoproclamé État islamique (EI) était en train de perpétrer un génocide à l’encontre des yézidis. La commission a en effet constaté de nombreux crimes, dont des assassinats, des actes d’esclavage sexuel et de torture révélateurs d’une intention de détruire le groupe ethnique, ce qui constituerait bien un génocide. (...)

M. Schabas a dit qu’il pensait qu’il était « important pour les gens de comprendre qu’accoler une étiquette de génocide [à un crime] ne lui donne aucune valeur ajoutée » qui faciliterait les poursuites. Car, selon lui, « des crimes contre l’humanité ont manifestement été commis [en Syrie] ».

Rogier Bartels, juriste à la Cour pénale internationale, est du même avis. Il a cependant reconnu que les condamnations semblaient avoir tendance à être plus lourdes lorsqu’un crime était qualifié de génocide.

« Pour moi […] ce qui compte c’est qu’il n’y ait pas d’impunité et que les éventuels comportements illégaux soient poursuivis et, le cas échéant, condamnés », a-t-il dit à IRIN.

De quoi parle-t-on alors ?

En droit international, les individus peuvent être condamnés pour trois catégories de crimes : crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. (...)

La loi n’a manifestement pas eu d’effet particulièrement dissuasif dans la guerre en Syrie, mais cela ne signifie pas que les coupables ne devront pas répondre de leurs crimes. Ce n’est toutefois probablement pas la Cour pénale internationale qui les jugera.

En effet, la Syrie n’a pas adhéré au Statut de Rome et en l’absence d’une telle adhésion, il faut que le Conseil de sécurité des Nations Unies saisisse la Cour pour que celle-ci mène l’enquête. Cela aurait pu se produire en mai 2014, mais la proposition s’est heurtée au veto de la Russie et de la Chine.

Étant donné le soutien apporté par la Russie à M. Assad et sa participation active au conflit, elle poserait très certainement à nouveau son veto si la situation se reproduisait. (...)

Le même problème se pose pour les tribunaux ad hoc comme le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour le Rwanda : ces deux tribunaux n’auraient pas été créés sans le soutien du Conseil de sécurité.

Les seuls individus pouvant être mis en examen par la CPI sont les ressortissants de pays ayant adhéré au Statut de Rome, par exemple des Européens ayant rejoint les rangs de l’EI et ayant combattu sur le sol syrien. (...)

En ce qui concerne la justice en Syrie, on ignore encore à quoi ressemblera le pays après la guerre et comment les horreurs des années qui viennent de s’écouler seront traitées. Des procès pourraient avoir lieu dans le cadre d’une tentative de justice transitionnelle ou M. Assad, toujours au pouvoir, pourrait chercher à faire condamner les membres de l’opposition.

Quelles sont les preuves ?

En supposant que des poursuites judiciaires aient réellement lieu, les tribunaux auront besoin de preuves. Et s’il y a une chose qu’ils sont susceptibles d’obtenir, c’est bien cela.

Des associations comme la Commission internationale pour la justice et la responsabilité (Commission for International Justice and Accountability, CIJA) ont méticuleusement rassemblé et conservé des documents pouvant servir de preuves dans le cadre d’éventuelles poursuites judiciaires. À elle seule, la CIJA a fait sortir clandestinement plus de 600 000 documents de Syrie. (...)