
Cette année, alors que les fortes températures asséchaient les rivières et les réservoirs partout en Europe, de funestes avertissements du passé ont surgi des profondeurs. « Wenn du mich siehst, dann weine », pouvait-on lire inscrit sur une « pierre de la faim » située sur la rive de l’Elbe en République tchèque : « Si tu me vois, pleure ».
Pourtant, si les conséquences de la sécheresse à la surface semblent dramatiques, une nouvelle analyse des données satellites estimant la disponibilité de l’eau douce en Europe indique que « la situation des eaux souterraines, cachées des yeux de tous, l’est encore plus », d’après l’hydrologue Jay Famiglietti, directeur de l’Institut mondial pour la sécurité de l’eau à l’Université de la Saskatchewan, au Canada. (...)
appauvrissement régulier, entre 2002 et 2022, du volume d’eau dans les aquifères, ces roches et strates poreuses situées sous terre qui stockent la majeure partie de l’eau douce non gelée de la planète. Chaque année, la plupart des aquifères du continent (hormis quelques exceptions comme en Scandinavie) perdent plus d’eau qu’ils n’en récupèrent par le biais des précipitations et autres phénomènes, affirme Famiglietti.
Les chercheurs estiment que l’Europe perd en moyenne près de 84 gigatonnes d’eau par an depuis le début du 21e siècle. C’est un taux alarmant, selon Famiglietti. (...)
Il y a trop d’eau à certains endroits, et pas assez à d’autres. « L’eau est le messager qui délivre les mauvaises nouvelles du changement climatique » au monde entier. Or ces pertes sont pour beaucoup le résultat de l’extraction excessive des eaux souterraines.
Le changement climatique et la surexploitation des aquifères sont étroitement liés (...)
Après les sécheresses historiques de cette année, comme celle immortalisée sur la pierre de la faim de l’ancienne Bohème, les aquifères ne parviennent plus à se renflouer, et ce malgré le retour de la pluie.
GRACE et d’autres modèles s’inscrivent dans le besoin urgent et croissant d’améliorer notre compréhension des aquifères et de leur fonctionnement, explique Alice Aureli, hydrogéologue installée à Paris et responsable de la gestion équitable des eaux souterraines transfrontalières du Programme hydrologique international de l’UNESCO. D’après les scientifiques de la Commission européenne, la sécheresse de 2022 a été la pire de ces 500 dernières années. (...)
La quantité d’eau sur Terre reste constante et l’eau douce dont nous avons besoin pour vivre ne représente qu’une infime quantité de toute l’eau disponible. Malheureusement, le changement climatique et d’autres conséquences de l’activité humaine (comme le drainage des zones humides, la construction de barrages ou le pompage de l’eau des aquifères), peuvent entraîner un déplacement significatif de cette eau douce, et ainsi provoquer de graves évènements (assèchement de points d’eau, inondations, etc.).
La première mission GRACE, qui s’est achevée en 2017, « nous a apporté des données essentielles, comme la carte de l’épuisement des eaux souterraines dans le monde » (...)
Elle nous a également confirmé que les zones de latitude moyenne, dont le sud-ouest des États-Unis et la majeure partie de l’Europe, étaient en train de s’assécher, comme l’avait prédit le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Cette sècheresse n’est pas un événement à craindre dans un futur proche ; elle est à l’œuvre actuellement, et se propage bien plus vite que ce qu’avait estimé le GIEC. (...)
En collaboration avec des chercheurs du Centre international d’évaluation des ressources en eaux souterraines (IGRAC) et de Deltares, l’équipe de Bierken a également démontré que l’épuisement des aquifères contribuait à l’élévation du niveau de la mer dans le monde. La majeure partie de l’eau douce pompée dans le sol ne retourne pas dans les aquifères, mais finit par s’évaporer et se transformer en pluie. Celle-ci tombe soit directement dans l’océan, soit indirectement sur terre, alimentant les cours d’eau et les fleuves qui finissent par se jeter à leur tour dans la mer. (...)
Que ce soit par le biais d’images satellites ou d’une grille modélisée, selon Aureli, il est essentiel, pour sauver nos sous-sols, d’aider la population à visualiser leur état. Contrairement aux rivières, où ce qu’il se passe en amont se fait ressentir en aval, le flux sous-terrain n’est pas immédiatement perceptible, et peut donc être dévié et modifié de manière plus subtile et inattendue. Puisque personne ne peut les voir, certains peuvent également vouloir s’approprier les eaux souterraines dans le but de les utiliser comme réserve personnelle, et les garder secrètes.
En raison de ce caractère mystérieux et invisible, nous avons mis la plus grande réserve d’eau douce de la planète de côté pendant trop longtemps (...)
en l’espace de presque un demi-siècle, les membres de l’ONU ne sont jamais parvenus à se rassembler pour débattre de la gestion de l’eau. (...)
Tout va changer au printemps prochain. L’ONU a prévu de tenir à New York sa deuxième conférence intergouvernementale majeure sur l’eau. Pour s’y préparer, elle a organisé le Sommet ONU-Eau sur les eaux souterraines les 7 et 8 décembre 2022 au siège de l’UNESCO, à Paris : l’objectif était de débattre de la manière dont les pays pouvaient mieux se partager les aquifères transfrontaliers. (...)
Les eaux souterraines pourraient également changer la donne en matière de justice climatique, explique Villholth : elles sont surexploitées dans les pays à revenu élevé et sous-exploitées dans les pays à faible revenu. Les pays riches qui luttent contre le gaspillage de l’eau peuvent aider les pays à faible revenu à exploiter leurs aquifères de sorte à fournir un approvisionnement de base en eau à leurs populations, et à développer de petites entreprises. (...)