
L’expression « politiquement correct » s’emploie généralement comme quolibet mis au service d’arguments réactionnaires pour disqualifier toute thèse adverse. Presque personne ne se dit « politiquement correct » : pour les racistes, les sexistes, les homophobes, le politiquement correct c’est toujours cette prétendue « chape de plomb », cette idéologie écrasante qui serait brutalement et arbitrairement imposée par les tristes sires qui défendent l’égalité, combattent les injustices et n’aiment pas les discriminations.
L’expression permet de présenter la défense de l’ordre sous les traits de la subversion. C’est un procédé rhétorique fort efficace qui permet de faire passer un discours dominant pour minoritaire, la lâcheté, le conformisme et le larbinisme pour du courage. (...)
Un monde inversé
Alors que « dans la vie réelle » les antiracistes, les féministes et les militant-e-s contre l’homophobie sont loin d’occuper des positions dominantes et que les discriminations sont massives et systémiques, les dominants travaillent souvent à inverser, dans leurs discours, les rapports de force structurant l’ordre social : eux les ministres, les députés, les sénateurs, les intellectuels médiatiques omniprésents, seraient soumis à une « dictature » les empêchant de dire ce qu’ils répètent pourtant un peu partout sans jamais être inquiétés.
À les en croire, ils seraient poursuivis dans les plateaux de télévision, les maisons d’édition et les palais de la république par une armée omnipotente de féministes roms musulmanes voilées et homosexuelles... (...)
Une grande partie des textes et des discours qui brandissent le spectre du politiquement correct, s’attachent à désigner une réalité qui est en fait une construction largement fantasmagorique. Ils ont même toutes les caractéristiques de la projection schizophrène. C’est généralement sur un tout autre registre que reposent les discours des personnes elles-mêmes habituellement visées par l’accusation de politiquement correct (en gros des progressistes, ou juste des personnes non-racistes, non-homophobes ou non-sexistes). Nous avons alors souvent affaire à des plaidoyers qui s’attachent à réfuter et à déconstruire des accusations injustes, leurs auteur-e-s passent leur temps à se dédouaner, à se justifier en démontrant qu’ils-elles n’ont rien fait de mal. En vain. Car la rhétorique réactionnaire, n’ayant rien de rationnel, comme l’a démontré Albert O. Hirschman, elle ne s’adresse chez l’humain qu’aux parties de l’être inaccessibles à l’argumentation honnête et logique. (...)