
l va sans dire que le « techclash », notre brusque prise de conscience de la puissance des géants de la technologie, prend de l’ampleur à vue d’œil. L’annulation inopinée par Amazon de son projet d’installer un deuxième siège dans la ville de New York témoigne du changement de climat politique. Visiblement, les New Yorkais n’ont aucune envie de dépenser près de 3 milliards de dollars de subventions pour attirer une multinationale qui a généré 11,2 milliards de dollars de bénéfices en 2018 sans payer d’impôts sur cette somme, parvenant même à toucher 129 millions de dollars en crédits d’impôts.
Il va sans dire que le « techclash », notre brusque prise de conscience de la puissance des géants de la technologie, prend de l’ampleur à vue d’œil. L’annulation inopinée par Amazon de son projet d’installer un deuxième siège dans la ville de New York témoigne du changement de climat politique. Visiblement, les New Yorkais n’ont aucune envie de dépenser près de 3 milliards de dollars de subventions pour attirer une multinationale qui a généré 11,2 milliards de dollars de bénéfices en 2018 sans payer d’impôts sur cette somme, parvenant même à toucher 129 millions de dollars en crédits d’impôts. (...)
Exiger l’éclatement du monopole des géants de la technologie est un bon début, mais quelles institutions et quels agencements non commerciaux auraient leur place dans une société numérique juste, où ni Facebook ni Google ne joueraient un rôle dominant ? L’absence de réponse des technocrates révèle un programme purement économiste dissimulé sous de beaux discours : la question fondamentale de ce qui nous attend dans un monde au-delà des Big Tech sera réglée par la concurrence du marché.
Qu’en est-il du troisième courant, pour l’heure peu visible, du débat sur le techclash ? Ses représentants, présents dans une poignée de mouvements municipaux, dont certains sont au pouvoir en Europe, ne vantent ni les marchés ni la technocratie, mais plutôt une transformation démocratique radicale. Au lieu de partir du principe que la concurrence du marché est la réponse à tout, ils élargissent la question au-delà des maux créés par les géants de la technologie pour envisager la construction d’un avenir numérique plus progressiste (lire « La reconquête des données passera par les villes »). (...)
Les défenseurs de ce projet ne conçoivent pas les citoyens comme des consommateurs sophistiqués et émancipés, qui n’attendraient que d’être servis par des capitalistes numériques du futur plus éthiques, mais plutôt comme des sujets actifs, politiques et parfois pleins d’initiatives. (...)
Une fois qu’ils auront librement accès aux technologies les plus avancées de leur époque et à un minimum de ressources, ces citoyens devront trouver des solutions efficaces aux problèmes qui laissent aujourd’hui perplexes consultants et bureaucrates. Peut-être inventeront-ils de nouveaux services, commerciaux ou non, qui sont difficiles à concevoir à ce jour du fait du contrôle étroit dont fait l’objet l’accès aux ressources principales de l’économie numérique : les données, l’identité et l’intelligence artificielle.
Contrairement à l’économisme et à la technocratie, cette troisième voie ne prétend ni optimiser les marchés, ni étendre le paradigme de la propriété privée aux données, ni rompre les monopoles technologiques. Elle remet en question le fait de traiter les données et l’intelligence artificielle comme des marchandises plutôt que des ressources collectives et sociales. Ce faisant, elle donne des moyens d’agir à ceux qui jusque là avaient été tenus à l’écart des responsabilités dans l’économie et la bureaucratie numériques.
Face à la résurgence d’un populisme de droite qui remet en cause, parfois à raison, les vertus de l’État administratif traditionnel, un mouvement progressiste n’irait pas bien loin en promettant un simple retour à l’appareil technocratique du New Deal ou à l’État-providence d’origine. De même, ceux qui prônent l’économisme, invoquant l’approfondissement du programme libéral, ne sont pas au bout de leurs peines, à l’heure où la mondialisation, la financiarisation et l’évasion fiscale suscitent tant de rejet.
Les mouvements de gauche encore indécis savent ce qui leur reste à faire : s’ils veulent vraiment s’écarter du dogme néolibéral, qui tient la concurrence pour l’instrument politique et social moderne fondamental, ils doivent résister aux tentations rhétoriques et idéologiques de l’« économisme » et de la « technocratie », pour se rallier au projet de transformation démocratique radicale. (...)
En cas d’échec, ce créneau ne restera pas vide très longtemps (lire « Le spectre du techno-populisme ») : les populistes de droite s’empresseront de l’investir, en omettant bien entendu la justice et l’égalité. (...)