Un collectif de juristes propose, dans une tribune au « Monde », de s’inspirer de la Convention internationale de 1973 contre le crime d’apartheid pour condamner la « séparation radicale, sous la contrainte, des femmes », comme elle est pratiquée en Iran et en Afghanistan.
Aujourd’hui s’étale sous nos yeux, avec une acuité nouvelle, l’iniquité et la barbarie du traitement réservé aux femmes dans deux pays voisins mais néanmoins de traditions différentes, l’Iran majoritairement chiite, et l’Afghanistan majoritairement sunnite : leur effacement de l’espace public où elles ne sont admises que sous la forme d’ombres silencieuses, le corps dissimulé par le voile qu’elles sont contraintes de porter.
L’Iran a ouvert le bal avec sa « révolution islamique » en février 1979 et sa cohorte d’obligations destinées à les préserver de « la corruption qui pourrait résulter de la présence simultanée d’hommes et de femmes dans un même espace », selon la formule du président Rasfandjani.
Quant aux talibans, « étudiants en religion » après s’être emparés de Kaboul en 1996 (avant d’en être chassés en 2001), ils sont apparus aux yeux du monde comme une horde sauvage contraignant toutes les femmes à s’ensevelir sous le tchadri grillagé, et en les privant d’éducation, de toute vie sociale, politique et culturelle, leur interdisant même les soins à l’hôpital.
Ainsi, au-delà de leurs différences, ce qui réunit la République Islamique d’Iran et l’Afghanistan des Talibans, revenus en force au mois d’août 2021, c’est la séparation radicale, sous la contrainte, des femmes d’avec le monde des hommes, séparation constituant un véritable apartheid fondé sur le sexe.
Pourtant dès le mois de mars 1979 les femmes, jeunes et moins jeunes, étaient descendues par dizaines de milliers dans les rues de Téhéran aux cris de « Nous n’avons pas fait la révolution pour ça ! » en visant le voile obligatoire.
Aujourdhui les protestation des femmes en Iran, après des éruptions vite réprimées, sont soutenues par un mouvement populaire déclenché par la mort de Jina Mahsa Amini le 16 septembre, après son arrestation par la police des mœurs pour avoir mal porté son voile.
Ce n’est pas un hasard si leur slogan est Femmes, vie, liberté !.
Ce qui est nouveau c’est qu’elles sont rejointes par les hommes, et de facon emblématique par les athlètes à l’occasion d’épreuves internationales telles que le Mondial de football .
L’autre nouveauté dont nous devons nous féliciter, c’est la reconnaissances d’organes des Nations-Unies de ce que ces femmes sont victimes d’une oppression institutionnalisée, systémique, et du caractère disproportionné de la réaction des autorités iraniennes aux manifestations populaires :
Le Conseil des Droits Humains a décidé d’ouvrir une enquête internationale sur la répression des manifestations en Iran, et sur l’étendue des violences liées au sexe.
Le Parlement Européen a, de son côté souligné dans une résolution que le port obligatoire du hidjab est devenu un instrument de répression des femmes, qui sont privées de leurs droits en Iran.
Enfin, M.Josep Borell, Haut-Représentant de l’Union Européenne pour les Affaires Etrangères a déclaré sans détours que « la persécution sexuelle est un crime contre l’humanité . »
Nous constatons avec satisfaction que certaines institutions osent maintenant s’affranchir du langage diplomatique convenu, mais pour que l’on en reste pas au stade de la protestation, il faut qu’il y ait une condamnation claire, sans équivoque, de la communauté internationale de tout système instituant l’apartheid sexuel.
Pour cela il lui faut rédiger un instrument juridique opérationnel, sanctionnant sans réserve quelque politique fondée sur la séparation institutionnalisée des sexes, ainsi que les contraintes imposées aux femmes pour y parvenir. (...)