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revue Recherches internationales/Raphaël Porteilla, politologue, credespo, université de bourgogne.
DE L’UTILITÉ D’UN DOSSIER CONSACRÉ À LA NON-VIOLENCE EN FRANCE
#non-violence
Article mis en ligne le 20 juillet 2023
dernière modification le 19 juillet 2023

Alors que la guerre et ses cohortes de désastres humains et
environnementaux semblent renforcer la militarisation
des esprits et des coeurs déjà bien ancrée dans nombre
de sociétés, la guerre en Ukraine offrant de ce point de vue une
confirmation manifeste de cette pente guerrière présentée comme
unique viatique à tout conflit, il est pourtant d’autres courants de
pensées et de pratiques qui peuvent proposer des réflexions stimulantes
relatives à la guerre et à la violence armée, mais qui sont totalement
inaudibles, voire négligés sinon dépréciés ; le courant de la nonviolence1
en constitue le paradigme exemplaire.

Si l’idée est ancienne, le mot non-violence est plus récent.
Pressentie en Russie par Tolstoï, forgé par Gandhi en Inde, puis en
Amérique du Nord par Martin Luther King, mais aussi observable
sous diverses formes et pratiques dans d’autres contextes culturels, la
non-violence, en tant que philosophie et pratique de luttes contre
les injustices et les dominations, a essaimé dans le monde au cours
du xxe siècle en empruntant des formules variées (résistance
passive, résistance non-violente, action ou lutte non-violente,
désobéissance civile).
Situé dans un champ de réflexions et de pensées accolé à des
grandes figures de la non-violence, le concept de non-violence est
très peu considéré en France, non seulement par le public en général,
par les politiques en particulier mais également par la recherche
académique, comme le fait remarquer Cécile Dubernet2. Diverses
raisons soutiennent cette perspective en enfermant la non-violence
dans un corset mal ajusté, véhicule d’idées militantes utopistes et
improbables (l’être humain serait violent par nature), loin d’être
admis au final comme un concept politique au sens plein du terme.
Pourtant, depuisplusieursdécenniesdenombreuxtravaux, anglosaxons
notamment, ont largement investi ce concept, le travaillant
à partir de plusieurs approches des sciences sociales (sociologie,
science politique, histoire, anthropologie, psychologie…), croisant
les niveaux et échelles d’analyse, de l’international au local en passant
par le national, mobilisant une démarche empirique (les travaux sur
les bases données consacrées à la non-violence sont davantage connus
depuis quelques années), tout autant qu’une réflexion théorique dans
le sillage des écrits de Gene Sharp, pionnier en la matière et repris
par d’autres, dont notamment l’ICNC (International Center on
Nonviolent Conflict) qui a réussi à constituer un réseau de chercheurs
et praticiens impressionnants ou l’IRNC (Institut de recherche sur
la résolution non-violence des conflits) en France, dont certains
membres ont contribué au présent dossier.

La non-violence n’est alors pas synonyme
de passivité, comme elle est y trop souvent réduite, mais s’articule
plutôt à l’action, murement réfléchie et organisée en fonction de
divers buts à atteindre tout en s’assurant du soutien du plus grand
nombre. Elle traverse l’ensemble des relations internationales,
croise des questionnements relatifs aux rapports de force entre
groupes ou personnes, met en discussion les comportements,
habitudes et aptitudes des individus dans leurs relations aux autres
et à l’environnement, questionne la démocratie dans ces modes de
répartition du pouvoir social, et finalement entend rappeler que la
source de tout pouvoir est située dans le peuple à travers ses diverses
modalités d’expression, pas seulement indirecte (la représentation)
mais aussi plus directe, selon les modes d’action repérés, classés
et théorisés par G. Sharp aussi bien en contexte autoritaire qu’en
contexte démocratique.

Elle invite donc fondamentalement à se
départir de la construction sociale dominante qui pose comme
indépassable la violence en vue de résoudre les tensions, les conflits.
La non-violence est ainsi diversité dans les pratiques sociales
de résistance à l’oppression et de lutte pour la justice, découvrant
une force (J. Butler7), un pouvoir de subversion (A. Refalo8) ou
se donnant à voir simplement comme un plaidoyer (P. Tozzi9) en
vue de la construction d’un autre rapport aux autres et au monde.
Cette large ambition est pourtant restée cantonnée en France à des
milieux militants, sans pénétrer d’autres champs en grande partie
car elle conduit à repenser les fondements de la vie en commun en
partant de soi, non dans le sens égoïste du terme, mais dans celui du
partage avec les autres sur le fondement de l’égale reconnaissance
des parties en perspective de construire un nouvel ordre de relations
entre partenaires et non plus entre adversaires.

Le présent dossier de Recherches internationales se situe dans
cette démarche large, proposant de faire découvrir des contributions
qui tentent d’apporter une pierre supplémentaire à la construction
d’un champ de recherches en langue française sur la non-violence.
C’est en tous les cas le parti pris assumé ici, qui appellera sans doute
beaucoup de questions et de remarques, contribuant en retour à
dialoguer, expliquer et confronter de manière apaisée et dans une
écoute emphatique réciproque, c’est-à-à-dire à mettre en oeuvre la
culture de la paix et de la non-violence.