
En avril 2002, la possibilité de l’extrême droite au pouvoir révoltait une partie de la population au point de la faire massivement manifester. Aujourd’hui, deux candidats issus de cette filiation politique sont en lice, mais la mobilisation organisée dimanche à Paris est restée bien modeste.
Il y a vingt ans, l’extrême droite arrivait pour la première fois au second tour d’une élection présidentielle. Le 1er mai suivant, une marée humaine déferlait sur Paris et sur les grandes places des villes de France pour dire « Non » au Front national, comme le titrait le journal Libération. « Tout le monde était là, les voisins, les gens pas spécialement militants. Il avait fallu attendre des heures pour quitter République, c’était phénoménal », se souvient Benoît Martin, responsable CGT à Paris, 37 ans à l’époque.
À une semaine du premier tour de l’élection présidentielle, dimanche 3 avril 2022, entre 2 000 et 3 000 manifestant·es seulement ont défilé dans les rues de Paris, pour demander que « pas une voix » ne tombe dans l’escarcelle de l’extrême droite. Un bien maigre cortège. Le 5 décembre 2021, à l’occasion du premier meeting d’Éric Zemmour en région parisienne, la manifestation organisée par un large front syndical, politique et associatif dans les rues de Paris n’avait pas non plus eu le succès escompté.
Contre l’extrême droite, « se mobiliser encore et toujours », demandait le texte d’appel à la mobilisation du 3 avril. « En cette matière, le péril est immense : il frappe à la porte et peut entrer bien plus vite qu’on le croit », pointaient les signataires. Mais l’extrême droite, y compris dans sa forme la plus radicale symbolisée par le candidat de Reconquête !, s’est imposée dans l’espace médiatique et politique du pays, au-delà de la seule figure de Marine Le Pen.
Ce courant politique revient, presque rituellement désormais, aux « portes du pouvoir », comme le crie au mégaphone Raphaël Arnault, porte-parole du collectif La Jeune Garde, qui appelle en tête du défilé la capitale à se « réveiller ». (...)
Dimanche 3 avril, Farah, 25 ans, manifeste pour la première fois contre l’extrême droite. Arrivée du Maroc en 2016 pour ses études de relations publiques, elle était en stage dans un cabinet de conseil quand a eu lieu le déclic. « Autour de moi, j’entendais se multiplier les remarques ou circuler les idées de Zemmour. Ces propos ne venaient pas d’idéologues ou de personnes très politisées, mais de gens que nous fréquentons tous les jours, qui sont aimantés par son discours. » Farah marche donc, accompagné de son ami algérien Arezki, tout aussi accablé par le climat ambiant. (...)
en 2017, alors que Marine Le Pen se hisse à nouveau au second tour face à Emmanuel Macron, c’est le trou noir pour Camille, accablée par la répression policière qui a entouré un an plus tôt les manifestations contre la loi Travail, et dont elle a été victime.
Pour la jeune femme, « l’idéologie néofasciste » s’est infiltrée partout, y compris dans les interstices institutionnels et médiatiques. « On a l’impression maintenant que c’est 50 % de temps pour les discours nazis, 50 % pour les autres. On se retrouve avec un Darmanin, ministre de l’intérieur, qui considère Marine Le Pen trop molle sur l’islam, ou avec un débat pendant des jours sur la réhabilitation de Pétain. C’est délirant. »
En face, même chez des amis « sensibles et intelligents », le mécanisme de protection joue à plein, regrette Camille : « Ils ne veulent pas entendre parler du rapport du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – ndlr] sur le climat, comme ils ne veulent pas entendre parler des violences policières ou du droit des migrants. Notre radicalité leur fait peur. » Ce qui explique peut-être que la lutte contre l’extrême droite, loin d’avoir progressé en même temps que la cote de ses figures de proue, semble désormais s’apparenter à un sport pour initié·es, même en cas de péril imminent.