
« Si rien n’est fait rapidement, on va être rayés de la carte... » Renan Henry, responsable du Comité de survie ostréicole, exprime le ras-le-bol d’une profession qui subit, depuis quatre ans, des fermetures administratives à répétition. L’hiver dernier a été dramatique pour les ostréiculteurs du pays d’Auray (...)
leurs élevages d’huîtres ont été atteints par le norovirus, la cause la plus courante de gastro-entérite et de diarrhée. Pendant la période charnière des fêtes de fin d’année, des centaines de personnes ayant dégusté ces fruits de mer ont été contaminées, les lots rappelés.
Santé Publique France a comptabilisé pas moins de 179 toxi-infections alimentaires collectives en décembre dernier, suspectées d’être liées à la consommation de coquillages. C’est environ 80 % de plus que les années précédentes. Comment les huîtres se sont-elles retrouvées porteuses et vectrices du virus ? « Les norovirus font partie des virus les plus résistants qui infectent l’homme, assure à Reporterre Vincent Thibault, chef du service de virologie du centre hospitalier universitaire de Rennes. Si quelqu’un est infecté, il va émettre énormément de virus dans ses selles, qui vont se retrouver dans les eaux usées. » Il suffit alors d’une fuite dans le réseau d’assainissement pour que le norovirus se répande dans les élevages ostréicoles. « L’huître filtre l’eau, et la nature du virus fait qu’il s’accroche à ses tissus, explique à Reporterre Renan Henry. Il faut plusieurs semaines pour que le virus disparaisse. »
« La cinquième vague de fermeture en quatre ans »
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Environ 130 entreprises ostréicoles installées en AQTA, regroupant 650 employés, ont été mises à l’arrêt entre décembre et janvier dernier à cause de contaminations au norovirus. (...)
« Le temps de vérifier que c’est bien les coquillages qui sont à l’origine de la contamination, il y a un délai de quinze jours à un mois entre la déclaration de la maladie et la fermeture des zones », analyse Nathalie Cochennec-Laureau, chercheuse à la station d’Ifremer de Lorient. Il n’existe pas, non plus, de seuil réglementaire au-delà duquel le virus serait « susceptible d’engendrer une maladie chez les hommes ».
Les fermetures administratives des zones conchylicoles sont une double peine pour les ostréiculteurs : leurs ventes sont à l’arrêt et leur image ternie
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Derrière les contaminations, les failles de l’assainissement collectif
Pour Nathalie Cochennec-Laureau, ces contaminations pourraient être évitées « si les réseaux d’assainissement ou les stations d’épuration ne connaissaient pas de dysfonctionnements ». Des déversements sauvages, des rejets de bateaux de plaisance ou encore des dispositifs d’assainissement non collectif — installations individuelles de traitement des eaux domestiques — défectueux pourraient aussi contribuer à cette situation. Mais depuis plusieurs années, les ostréiculteurs incriminent principalement la gestion de l’assainissement collectif, une des missions d’Auray Quiberon Terre Atlantique, déléguée au groupe privé SAUR, spécialisé dans les services de l’eau.
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La réhabilitation de certaines stations d’épuration par AQTA a pourtant fait ses preuves pour lutter contre le virus. Des travaux achevés en 2013 sur la station de Saint-Philibert — à proximité directe des entreprises ostréicoles de la rivière d’Auray — ont quasiment permis d’éradiquer la présence de norovirus dans les eaux traitées, selon une étude menée par l’Ifremer en 2015.
La station d’épuration de Locoal-Mendon est aujourd’hui la seule dont l’équipement est sous-dimensionné pour traiter correctement l’ensemble des eaux usées qui lui parviennent. Le chantier pour sa mise aux normes a débuté au cours du mois de juin. Mais six autres stations d’AQTA ont été classées « non conformes en performance » en 2018, un avertissement habituellement utilisé en cas de défaillances ponctuelles.
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De plus, avoir des stations performantes n’est pas suffisant si le système de collecte, qui achemine les eaux usées jusqu’à la station d’épuration, est défaillant. C’est surtout là que le bât blesse. Le réseau d’assainissement d’ACTA est « séparatif » : il est censé séparer les eaux usées des eaux pluviales. Dans ce cas, selon un commentaire technique de l’arrêté du 21 juillet 2015, qui réglemente l’assainissement collectif en France, « le système de collecte des eaux usées ne doit pas engendrer de déversement direct de pollution par temps de pluie ». Or, à Auray Quiberon, la porosité des tuyaux et les mauvais branchements entraîne la dispersion des eaux de mer, de nappes et surtout de pluie dans le réseau d’eaux usées. Résultat : celui-ci sature, déborde et l’eau se déverse dans la nature. (...)
À la fin du mois de janvier dernier, Jacques Carrer, président du syndicat ostréicole de la Ria d’Étel, a découvert dans une rivière de Landaul « entre 2.000 et 3.000 mètres carrés de merde » en aval de la station d’épuration voisine. Dans un courriel transmis le 6 février dernier au syndicat mixte de la Ria d’Étel, chargé de la protection du fleuve, Julie Manceau, responsable du service eau et assainissement d’AQTA, évoque l’origine de cet incident. Il s’agirait d’un départ de boues d’épuration, c’est-à-dire des résidus issus du traitement des eaux usées, détecté presque deux mois plus tôt, début décembre. Pendant ce laps de temps, Jacques Carrer affirme « qu’aucune action n’a été engagée » par AQTA et, surtout, qu’aucun ostréiculteur n’a été mis au courant. (...)
La restauration du réseau d’assainissement constitue un chantier très coûteux, qui pourrait durer plus d’une dizaine d’années. (...)
Dans le même temps, le réseau continue de s’étendre sous l’effet d’une urbanisation croissante (...)
de nombreux ostréiculteurs condamnent les investissements faits dans l’extension du réseau plutôt que dans sa rénovation. (...)
Inquiets à l’idée d’une nouvelle vague de contaminations l’hiver prochain, les conchyliculteurs envisagent d’installer des bassins fermés sur leurs exploitations. (...)
Mais cette réclamation ne fait pas consensus au sein de la profession. Des producteurs d’huîtres comme Benoît Le Joubioux, président de l’association Ostréiculteur traditionnel, défendent la production d’huîtres en mer : « En tant qu’ostréiculteurs, nous sommes garants de l’estran, d’une biodiversité, d’un écosystème. Notre profession dépend de cet équilibre. Si on veut avoir des huîtres en bonne santé, il faut mettre le prix pour que l’assainissement soit nickel ».
Des chercheurs et chercheuses d’Ifremer s’apprêtent à lancer un programme de recherche dans la rivière de Crac’h pour mieux comprendre le comportement des particules virales dans l’eau.
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