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Mediapart
De Gaulle et la guerre d’Algérie : dans les nouvelles archives de la raison d’État
Concernant le sujet de la violence d’État pendant la guerre d’Algérie, voici quelques livres de référence : La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie (Gallimard), de Raphaëlle Branche ; La Question (Éditions de Minuit), d’Henri Alleg ; Une drôle de justice (La Découverte), de Sylvie Thénault ; Face à la raison d’État (La Découverte), de Pierre Vidal-Naquet.
Article mis en ligne le 5 juillet 2022

Comment fonctionne un État quand il se met à emprisonner arbitrairement, à torturer et à assassiner ? Qu’en reste-t-il six décennies plus tard ? Y a-t-il encore des choses à apprendre ? Pour essayer de répondre à ces questions, alors que l’Algérie célèbre le 5 juillet les 60 ans de son indépendance, je me suis plongé pendant plusieurs semaines dans une infime partie des archives de la République sur la guerre d’Algérie (1954-1962), dont certaines ont été déclassifiées fin 2021 sur décision d’Emmanuel Macron.

En me lançant dans cette quête, je n’avais pas la prétention de révolutionner l’historiographie* déjà si riche de cet événement-matrice qui constitue, avec le génocide des Tutsis du Rwanda (1994), l’un des moments les plus sombres de l’histoire contemporaine de la France. Mais en parcourant les cartons des Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) et du Service historique de la Défense à Vincennes (Val-de-Marne), j’ai voulu voir par moi-même à quoi pouvaient bien ressembler les crimes d’une guerre – de cette guerre si particulière – quand ils étaient consignés sur papier officiel au plus haut niveau de l’État, à l’Élysée ou dans certains ministères.

Ce que j’y ai lu m’a souvent stupéfié (...)

Il n’y a pratiquement pas une famille française qui n’ait un lien, direct ou indirect, avec la guerre d’Algérie. On pourrait penser que c’est une histoire ancienne, sans présent ni futur. Pour se convaincre du contraire, il suffit de réécouter le discours inaugural de la nouvelle législature de l’Assemblée nationale prononcé, mardi 28 juin, par le doyen de la Chambre, le député d’extrême droite José Gonzalez (Rassemblement national – RN), qui a dit à la tribune sa nostalgie de la France coloniale puis, dans la foulée, s’est montré incapable devant les journalistes qui l’interrogeaient d’en reconnaître les crimes en Algérie.

Cette scène, dénoncée par une grande partie de la gauche, a eu lieu quelques jours après un week-end de célébration à Perpignan (Pyrénées-Orientales), sous les auspices du maire de la ville Louis Aliot (RN), de l’Algérie française, de l’Organisation armée secrète (OAS) et des putschistes d’Alger.

Comme une réponse involontaire à celles et ceux qui voudraient oublier l’histoire et ses leçons, il y a, aux Archives nationales* , un document issu du ministère de la justice à l’époque de la présidence de Gaulle (après son retour au pouvoir en 1958), dont je n’ai réussi à établir ni l’auteur ni la date précise, mais qui dit beaucoup, il me semble, des dangers d’un passé qui ne passe pas. C’est une feuille volante, la dernière, de ce qui ressemble à un rapport plus ou moins officiel. Une feuille glissée au milieu d’une liasse d’autres documents sans lien apparent.

Il n’en subsiste que quelques mots tapés à la machine, manifestement rédigés par une personne de bien installée au cœur de l’appareil d’État qui voulait empêcher que la France s’enfonce un peu plus dans les crimes de la guerre d’Algérie : « De telles réformes seraient assurément insuffisantes pour “humaniser” une guerre par essence inhumaine, mais elles permettraient de protéger la justice française contre les entraînements d’une raison d’État dont les effets, à longue échéance, se retournent toujours contre le pouvoir et la nation qui leur cèdent. » (...)