
(...) vous voyez, sur son pelage il y a des petits cœurs roses, c’est pour un petit garçon vous comprenez ?
– Dois-je comprendre que votre cher tête blonde, qui sait à peine reconnaître son nom, qui ne fait pas la différence entre téter son biberon ou son poing fermé et qui ne sait même pas encore contrôler ses sphincters, risque de se sentir atteint dans sa virilité triomphante par la force de ces petits cœurs roses sur le pelage de tout-doux lapinou ?
Oui bon, en réalité la dernière réplique je me la suis gardée sous le coude et j’ai comme d’habitude arboré le sourire crispé de la libraire qui en déjà entendu d’autres avant de lui proposer « Ma Boîte à outils ». Tout va bien, madame sera contente, les cinq millimètres de pénis du nouveau-né sont saufs, ce dernier aura désormais de quoi se sentir « mâle » avec ses marteaux en tissu sur lesquels il bavouillera à sa guise. (...)
Depuis que je travaille dans le secteur de la librairie jeunesse, j’ai pu constater à quel point la différenciation sexuelle des enfants se faisait jeune, ça va de la boîte à outils en tissu dont j’ai parlé plus haut à la collection « Ptit Garçon » « Ptite fille » qui se donne aux bambins dès l’âge d’un an. (...)
Bien sûr, de nombreux livres unisexes existent, heureusement, mais la proportion d’ouvrages sexués ne cesse de croître. Les éditeurs l’ont bien compris (...)
. Les personnages féminins de l’enfance sont hypersexualisés pour les petites filles afin qu’elles intègrent dès le début la notion de « T’es une fille, habille-toi sexy, tu dois plaire sinon tu n’es rien », les héroïnes sont de plus en plus jolies et minces (selon les critères à la mode), les ouvrages pour habiller des personnages féminins façon mode fleurissent pour des publics de plus en plus jeunes, tout est fait pour standardiser au maximum les petites filles. (...)
J’ai pris le parti de ne pas avoir ces machins en rayon mais seulement sur commande. Mais du coup, j’en commande des brouettes. (...)
Bon, tout n’est pas aussi noir, faut pas charrier non plus. De plus en plus d’éditeurs et d’auteurs vont dans le bon sens et proposent des ouvrages qui bousculent les idées reçues, comme l’excellente série des Mademoiselle Zazie parue chez Nathan (...)
J’ai été bien embêtée le jour où une maman m’a demandé s’il existait des journaux intimes pour les garçons, on a fini par en trouver, mais ce fut une rude recherche, l’écrit intime c’est pour les gonzesses, passe ton chemin le mâle ! (...)
Le libraire a en effet, un choix un peu compliqué à faire dans cette situation. Soit il s’obstine à proposer des ouvrages non sexués (et ils existent !), quitte à s’aliéner une partie de sa clientèle, soit il propose ce que veut le public et bientôt ses étals seront remplis de camions bleus, de pirates, de princesses roses et d’autres petits poneys atroces. La plupart du temps, le libraire fait le choix de proposer les deux (pour peu qu’il ne soit pas obsédé par son chiffre d’affaire), mais constate, comme je le fais tous les jours, la difficulté de proposer autre chose. (...)
Quant aux parents, ils sont face à un problème insoluble. Inconsciemment ils collent des stéréotypes dès le plus jeune âge aux enfants et ensuite s’étonnent que ces derniers ne s’intéressent qu’à des livres genrés. C’est le serpent qui se mord la queue (...)