
Dans la tourmente de la modernité tardive, il paraît impossible de discerner le « bon » fil à partir duquel toute la pelote se déroulerait, éclaircissant quelque peu les ténèbres de notre futur à moyen terme.
Pour les marxistes, il faut toujours agir sur l’infrastructure économique pour changer les rapports de production en faveur des travailleurs et les faire sortir de l’aliénation.
Pour les néo-capitalistes, il faut désormais – épuisement des ressources et crise climatique obligent – « verdir » les procès économiques, et tout ira ensuite pour le mieux (de leurs profits).
Pour le mouvement anti-industriel, il faut précisément d’abord sortir de l’industrialisme avant d’envisager tout progrès social et toute protection de la nature.
Pour les anarchistes, il faut abolir toutes les hiérarchies pour aller vers une démocratie réelle et directe de communes autogérées. Pour le mouvement de la décroissance, il faut d’urgence choisir l’antiproductivisme, tant pour des raisons sociales qu’écologiques.
Certainement tous ont-il raison à des degrés divers (sauf les néo-capitalistes !). Dans cet article, je voudrais tirer un autre fil : l’épineuse question de l’individualisme, la doctrine qui sous-tend depuis plus de deux-cent ans l’économie de marché, les droits de l’homme et la démocratie.
Voilà une conquête des Lumières que l’on voudrait irréversible, néanmoins devenue délicate à envisager dans une humanité forte de sept milliards d’âmes (et surtout de corps !) qui aspirent majoritairement à prendre le train de vie occidental pourtant non généralisable, tant en raison de la dusnomia (désordre dans les règles du vivre-ensemble) que de la dusphusia (dérèglement non naturel de la nature dans laquelle nous sommes insérés) qu’il implique. Ce texte étant un brin pamphlétaire, il vaut mieux avertir le lecteur. Primo, je ne prétends donner aucune leçon à la Périphérie (i.e. le « Sud global »). Je suis bien trop outré de l’arrogance du Centre (i.e. l’Occident) et conscient de sa responsabilité historique. Secundo, mon propos est à la fois descriptif et normatif, balance entre psychologie, sociologie, anthropologie et philosophie morale. Muni d’outils théoriques, je me suis également appuyé sur des observations in vivo dans les nombreux groupes militants que j’ai fréquenté depuis une vingtaine d’années. Si l’on peut tomber d’accord pour constater que nous sommes passés, dans la société, d’un modèle industriel à un modèle identitaire depuis une quarantaine d’années (4)– c’est l’aspect descriptif –, on est par contre aussi en droit de s’inquiéter des dérives de ce nouveau paradigme et de proposer des alternatives – c’est l’aspect normatif. (...)