
En périphérie du Havre, gravats, ferrailles, plastiques, produits chimiques et autres rebuts en tous genres ont été déversés en pied de falaise pendant des dizaines d’années, jusqu’à l’interdiction de cette décharge. Les lieux rejettent depuis, au gré des tempêtes, leurs 3 millions de tonnes de déchets dans la mer. Associations et habitants lancent l’alerte. Alors qu’il a présenté son plan pour l’« économie circulaire » ainsi que des mesures anti-gaspillage, le Premier ministre Édouard Philippe, ancien maire du Havre, les écoutera-t-il ? L’Etat soldera-t-il enfin le passif des dizaines de décharges sauvages qui perdurent encore ?
(...)– la revue scientifique Science Advances estime à 8,3 milliards de tonnes le volume de plastique produit dans le monde entre 1950 et 2015, dont 79% n’ont été ni recyclés ni incinérés – celui-ci inonde chaque jour un peu plus les eaux du globe. Ces dernières en recevraient plus de 8 millions de tonnes chaque année. Une contamination désormais connue sous le nom de « plastisphère » ou encore de « continent de plastique », à l’image de cette décharge qui flotte au beau milieu de l’océan Pacifique, dont la surface totale serait trois fois supérieure à la France [1]. (...)
Ce n’est qu’en l’an 2000 que mairie et préfecture en interdisent officiellement l’utilisation par arrêté, sans que le site ne soit jamais dépollué pour autant. Conséquence : ferraille, caoutchouc et autres matériaux inertes ont fini par s’agglomérer à la roche avec le temps, et sont aujourd’hui peu à peu charriés par les vagues qui lèchent continuellement le pied de la falaise. Avec un recul estimé à un mètre chaque année, les éboulis pourraient avoir relâché dans la Manche la totalité de ces rebuts autour de l’année 2050. (...)
Un peu malgré elle, c’est la tempête Eleanor, au tout début du mois de janvier, qui a réveillé les consciences : « Le lendemain, on a retrouvé sur les plages du Havre un amoncellement de déchets ramenés par la tempête. Ils ne viennent pas tous de la décharge, mais cela a suscité une vive émotion chez les gens », raconte Alexis Deck, conseiller municipal Europe Ecologie-Les Verts (EELV) d’opposition à la mairie du Havre. A tel point que des appels à la mobilisation citoyenne sont lancés sur les réseaux sociaux, et que plusieurs centaines de personnes y répondent dans le cadre de grandes opérations de nettoyage. 100 m3 de déchets ont ainsi été ramassés uniquement sur la journée du 5 janvier.
« Les gens étaient horrifiés, se souvient Pierre Dieulafait, de l’association Écologie pour Le Havre. Les sensibilités ont évolué, et désormais un tel désastre n’est plus admis. » L’indignation a remis la décharge de Dollemard sur la table du débat public, exhumant le site de l’oubli collectif dans lequel il était emmuré : « Jusque-là, la municipalité cachait le problème comme la poussière sous un tapis, poursuit Alexis Deck. Mais cette fois, les autorités ont été dépassées par l’événement. Il était impossible d’enterrer une nouvelle fois le dossier. »
Des déchets retrouvés à 200 km du Havre
D’autant que la connaissance sur les impacts de la décharge a progressé (...)
« Pendant les Trente glorieuses, chaque commune avait sa décharge sauvage » (...)
En décembre 2016, l’association Robins des bois révélait cependant une carte de l’hexagone recensant au moins 170 décharges non autorisées – un chiffre qui ne se veut en aucun cas exhaustif.
Ce patrimoine encombrant s’explique notamment par une règlementation française bien tardive en matière de déchets (...)
« Édouard Philippe a toujours détourné le regard »
Depuis quelques semaines, la mairie du Havre, pressée par les associations environnementales, semble pourtant vouloir faire amende honorable et multiplie les rendez-vous sur le dossier. Pour mieux laver sa propre culpabilité, peut-être : le site rejette régulièrement des déchets municipaux, tels que des pierres tombales par exemple. Ou pour mieux faire accepter son impuissance ? Les solutions ne sont pas légion : « Il faut enlever tout ce qui reste, annonce Pierre Dieulafait, de l’association Écologie pour Le Havre. Excaver les déchets de l’estran, et extraire les affleurements dans la falaise. » Des travaux qui coûtent cher, trop cher pour la seule municipalité havraise : d’après Alexis Deck, « il faut compter autour de 20 millions d’euros », selon les premières estimations de la mairie. Le conseiller municipal d’opposition admet l’impasse : « Le coût total des opérations est un frein légitime pour la mairie. On aura besoin des services de l’État. »
Heureuse coïncidence, l’actuel Premier ministre, Édouard Philippe, ne saurait ignorer totalement le sujet, lui qui fut maire du Havre pendant six ans et demi. « Mais il n’en a jamais parlé, et a toujours détourné le regard », témoigne Alexis Deck. En attendant, plusieurs associations environnementales, parmi lesquelles France nature environnement ou Surfrider, travaillent à maintenir l’alerte sur le dossier. (...)
Le gouvernement ne pourra faire la sourde oreille très longtemps : d’autres décharges sauvages défraient la chronique ces temps-ci, à l’image de celles de Carrières-sous-Poissy dans les Yvelines, de la gare TGV d’Aix-en-Provence ou des vignobles de Carcassonne. Lundi 23 avril, le Premier ministre a présenté son plan pour l’« économie circulaire » ainsi que cinquante réformes anti-gaspillage. Avec parmi elles, l’objectif d’atteindre les 100% de recyclage du plastique d’ici l’année 2025. En attendant, les océans pourront continuer à s’en faire le réceptacle.