
(...) Murray Bookchin est peu connu en France. Mais il mérite largement de trouver sa place dans la galaxie des « penseurs de l’écologie », où figurent notamment Günther Anders, Jacques Ellul, Barry Commoner, Hans Jonas, Ivan Illich ou André Gorz. Car Bookchin apporte à la réflexion écologiste une idée cruciale : le rapport des sociétés modernes à ce qu’elles appellent la nature reflète les rapports de pouvoir qui structurent ces sociétés.
La domination qu’exercent les riches sur les pauvres, les hommes sur les femmes, les vieux sur les jeunes, se prolonge dans la domination que les sociétés fondées sur la hiérarchie exercent sur leur environnement. Et de même que ces relations de domination aliènent les personnes – c’est-à-dire détruisent ou réduisent leur potentialité humaine -, de même ces sociétés hiérarchiques détruisent la nature. Mener une politique écologique appelle donc une mutation des rapports politiques au sein de la société : « protéger la nature » suppose l’émancipation sociale.
La force de Bookchin est d’explorer cette idée sans tomber dans l’individualisme – selon un thème récurrent de l’idéologie capitaliste qui prétend que « pour que l’on arrête de détruire l’environnement, il faut que chacun change son comportement » -, mais bien en termes de société politique. Et par ailleurs, de la développer en s’inspirant du fonctionnement de la nature sans pour autant confondre la société avec un écosystème : il n’oublie jamais que si les humains ont tout à voir avec la nature, ils ne peuvent s’y dissoudre, ayant à poursuivre leur propre aventure. Mais cette aventure collective, qui passe par l’exploration de la liberté, ne peut réussir que si elle ne néglige pas le terreau vivant et magnifique dans lequel elle s’enracine.
On est surpris, en relisant Qu’est-ce que l’écologie sociale trente ans après sa parution, de constater à quel point ce texte reste pertinent et stimulant. (...)