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Dénoncé sous anonymat, un gilet jaune prend 2 ans de prison pour l’incendie d’un véhicule de police
Article mis en ligne le 6 janvier 2020

(...) c’était le 7 septembre dernier, pour l’acte 43 et la “rentrée” des gilets jaunes. Au cours d’une manifestation nationale organisée à Montpellier et qui rassemblera des milliers de personnes, une voiture de la police municipale s’enflamme au bas de la rue Saint-Guilhem. Comme un symbole du péril jaune qui s’éternise un peu trop, l’information fait le tour du pays, de médias en médias. À événement si spectaculaire, un coupable doit être trouvé, puisqu’il en va du sentiment même de puissance d’institutions, décrédibilisées comme rarement en France, la police et la justice ! Et l’audience qui va suivre en est une démonstration horrifiante !

Dénoncé, géolocalisé, perquisitionné !

Le prévenu, 45 ans, défendu par Mme Aude Widuch, placé en détention provisoire depuis le 25 novembre 2019, est accusé de destruction de biens par moyen dangereux, en l’occurrence le Dacia Duster des municipaux maladroitement stationné dans l’Écusson ce samedi, et la devanture d’un commerce que les flammes ont ensuite prise d’assaut. Il nie les faits, depuis le début. Se portent parties civiles la mairie de Montpellier et l’entreprise Couget-Bernadas qui exploite le commerce.

Le juge entame un rappel des faits ayant menés à l’ouverture d’une enquête. Tout commence par l’exploitation des images de la vidéo-surveillance de la rue Saint-Guilhem : autour de 15h20, après le caillassage par plusieurs dizaines de manifestants tous ou presque vêtus de noir du véhicule inoccupé, les caméras filment un individu en train de passer son bras par la fenêtre avant. Un jet de fumigène plus tard, l’incendie démarre. Deux mois après, le 9 novembre au soir, les policiers reçoivent un coup de fil, anonyme paraît-il, leur indiquant que l’auteur de l’incendie se trouve dans un kebab. Les fonctionnaires y débarquent, relèvent l’identité du suspect identifié. L’enquête est lancée ! Le portable du suspect est rétroactivement géolocalisé à proximité de l’incident du 7 septembre. Une semaine après, le 16 novembre, première perquisition au domicile de l’intéressé, en son absence puisqu’il est parti manifester à Paris pour le premier anniversaire du mouvement gilet jaune. On y trouve un casque gris ressemblant, d’après M. le Juge, à celui que l’on aperçoit au visionnage de la vidéo-surveillance. Une deuxième perquisition a lieu, au retour de cet ouvrier du BTP de la capitale, le 21 novembre, jour de son arrestation. Cette fois-ci, c’est un masque de plongée, un masque à gaz bleu et gris, des gants et un marteau qui sont saisis comme éléments à charge au domicile du quadragénaire. « Le parfait attirail du Black Bloc », commentera le juge. Très vite dans la séance, l’attitude du magistrat déroute, met mal à l’aise : on a l’impression d’assister à une réquisition de procureur, tant le ton se fait accusateur, avant même que l’avocate du prévenu n’ait le temps de prononcer un mot ! (...)

Pourquoi on a pas géolocalisé mon portable sur ce coup ? On aurait vu que je n’étais pas Place d’Italie à ce moment ! », tente de se défendre l’ouvrier. « Et comme tous les ouvriers du bâtiment, je fais de la récup de métaux sur les chantiers pour les revendre et arrondir les fins de mois », réussira-t-il a argué avant d’être à nouveau interrompu.

Et voilà que M. le Juge s’improvise expert en conduite de mouvement social (...)

La réquisition du procureur sera assez courte, c’est que le juge l’a déjà en bonne part prononcée… La représentante du ministère public insiste sur la dangerosité de l’incendie, sur les « déclarations farfelues qui cachent certainement quelque chose ». Sur son propre mépris aussi, au moment de qualifier la manifestation de « meute arrivant rue Saint-Guilhem ». Peine réclamée : 30 mois de prison, dont 6 avec sursis et mise à l’épreuve de deux ans consistant en l’obligation de s’acquitter des dommages et intérêts, et trois ans d’interdiction de manifester sur tout le territoire français !

Les parties civiles réclament 3154 euros pour la devanture et plus de 35 000 pour la mairie, le montant d’un véhicule de la police municipale.

« On nous fait payer tellement cher pour notre révolte ! »

L’avocate de la défense entame sa plaidoirie, et c’est là que l’on commence à rire ! Jaune au vu de l’issue du procès. Même si elle défend la relaxe, elle commence par pointer du doigt, en cas d’entrée en voie de condamnation, la responsabilité collective de la destruction du véhicule : entre trente et cinquante personnes, selon la vidéo-surveillance, y ont participé, pourquoi son client devrait-il payer des dommages et intérêts pour tous ? Et puisqu’on parle de vidéo-surveillance, les procès-verbaux de leurs visionnages indiquent que l’incendiaire a le visage dissimulé, et n’est donc pas identifiable. Les équipements de protection sont portés par de nombreuses personnes, parfois en des modèles identiques. Peut-être pour éviter de finir comme un des 236 blessés à la tête recensés par le Mur Jaune depuis le début du mouvement ! L’avocate dit même avoir reconnu sur la vidéo-surveillance dans les instants précédents le sinistre trois autres combinaisons casques-masques rigoureusement identiques à celle portée par l’incendiaire ! Encore faudrait-il que le matériel porté par le pyromane identifié sur les images corresponde à celui saisi chez le prévenu. Matériel qui, rappelons-le, sert de preuve principale ! Les gants portés sur la vidéo sont noirs, ceux trouvés chez l’accusé sont blancs. Le casque porté sur la vidéo est gris, celui trouvé chez l’accusé est noir. (...)

le juge, au moment où le tribunal annonce suivre toutes les réquisitions du ministère public, assène, rendant l’évidence encore plus flagrante : « Non, vous n’êtes pas condamné sur la simple base d’un témoignage anonyme ! Il est tout de même plus qu’étrange que l’on ait trouvé tout cet équipement chez vous et dans votre véhicule ! » Deux ans derrière les barreaux, n’est-ce pas un peu cher payé pour avoir provoqué un sentiment d’étrangeté chez un magistrat ? L’indemnisation des parties civiles est renvoyée à une audience ultérieure.

Côté soutiens, cette douche froide provoque une explosion de colère, des larmes de rage, et une exclamation, touchante de vérité : « On nous fait payer tellement cher pour notre révolte, c’est une honte ! » Si bien que la salle est évacuée après des menaces de procès en outrage de part de la magistrature…