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Economie.org
Dépasser le capital par la cotisation sociale
Benoît Borrits Essayiste et concepteur du site www.economie.org
Article mis en ligne le 30 mai 2020
dernière modification le 29 mai 2020

Le risque santé peut être assuré de deux façons différentes : en souscrivant individuellement une police d’assurance ou en participant à un régime obligatoire basé sur la cotisation sociale. Dans le second cas, c’est la solidarité collective qui permet de garantir à chacun des participant.es la couverture de ce risque, alors que dans le premier, c’est le capital de la compagnie d’assurance qui le fait : en mettant leur argent en garantie, des apporteurs de capitaux entendent réaliser un bénéfice. Or ce caractère assurantiel du capital ne se limite pas aux seules compagnies d’assurance.
L’assurance santé, de la mutuelle au régime obligatoire

La santé est essentielle à la qualité de vie. Elle est aussi fortement imprévisible. On a, très tôt, cherché à s’assurer contre ce risque par des mutuelles. Il s’agit de regroupements d’individus qui mettent de l’argent dans un pot commun, lequel servira à payer les frais de santé des membres du groupe qui en auront besoin. Un des principes d’origine des mutuelles est la solidarité infinie : si d’aventure, le fonds commun s’avère insuffisant, alors les individus verseront des cotisations supplémentaires.

Très vite, le risque médical intéressera le capital et les premières sociétés privées feront leur apparition pour concurrencer ces mutuelles. L’objectif premier n’est alors plus de garantir la santé à des membres mais d’offrir des services d’assurance à des clients dans l’objectif de gagner de l’argent.

Qui voudrait adhérer à une mutuelle endettée qui pratiquerait de fortes primes d’assurance pour se redresser ? Le caractère volontaire de l’adhésion est sa principale faiblesse.

La réponse à cette question est le régime de l’assurance-santé obligatoire qui a été mis en place en France en 1946. Le principe est simple : tout salarié cotise de façon obligatoire à une gigantesque mutuelle qui assure le risque. Tout salarié qui aura besoin de soins y accédera gratuitement et le budget de l’assurance santé est déterminé par les cotisations. Celles-ci pourront croître ou éventuellement baisser en fonction des besoins. Mais il n’est nullement nécessaire de disposer d’un capital pour que le système puisse fonctionner : c’est la solidarité collective et obligatoire qui remplace le capital.

L’expérience nous a montré qu’en terme d’efficacité économique, les pays ayant des systèmes de santé obligatoires dépensent moins (10 % environ du PIB) que les pays qui fonctionnent sur la base des assurances privées https://www.economie.org/blog/depasser-le-capital-par-la-cotisation-sociale/

Le capital de l’entreprise comme assurance

Il est possible de considérer que toute société de capitaux – et pas seulement les compagnies d’assurance – joue un rôle assurantiel dans le cadre de l’économie. Une société de capitaux va réaliser des investissements dans des outils de production – machines, équipements, immobiliers – dont on ne connaît pas a priori la pertinence. Si l’investissement s’avère être une erreur, ce sont les propriétaires qui en feront les frais sur leurs fonds propres, tout comme les compagnies d’assurance qui auraient mal évalué le risque. Il est possible que la société de capitaux ait recours à l’emprunt pour réaliser un investissement. Ceci ne change guère la donne car ils prennent le risque en première ligne : si l’investissement s’avère être une erreur, ils devront de toute façon rembourser l’emprunt et les fonds propres en seront affectés. Toutefois, et tout comme une compagnie d’assurance qui fait faillite et laisse ses assurés sans couverture, si la société est incapable d’honorer ses engagements, les différents créanciers ne seront peut-être pas remboursés et supporteront le coût de cette erreur de la société de capitaux. (...)

Les luttes sociales ont apporté un renforcement des sécurités de rémunération des salarié.es. Le droit social impose des rémunérations minimums. Les conventions collectives permettent un début de reconnaissance de la qualification. Le contrat de travail est désormais encadré et n’autorise que des licenciements justifiés et ce, avec le respect de préavis plus ou moins longs. Si le licenciement n’est pas justifié, l’entreprise s’expose à des indemnités et parfois même à une réintégration du salarié avec le paiement de tous les arriérés, comme cela était autrefois le cas en Espagne et en Italie. Cependant, si ces législations imposent que les entreprises respectent ces règles en cas d’embauche, elles n’imposent aucunement qu’elles embauchent les personnes qui souhaitent travailler, ce qui limite largement l’intérêt du capital.

Vis-à-vis des salaires, le caractère assurantiel du capital a été renforcé tout au long du XXe siècle. Ces avancées ont cependant été battues en brèche sur les dernières décennies. Pire, le capital tend de plus en plus à contourner le droit du travail en utilisant l’intérim ou le statut de l’indépendant pour s’affranchir de toute obligation. (...)

Mais il est intéressant de noter qu’au XXe siècle, sont aussi apparues les cotisations sociales dans d’autres domaines que l’assurance santé et que celles-ci commencent à mutualiser certains revenus.
Les cotisations sociales

Si les entreprises peuvent licencier, les salariés se sont vus reconnaître des droits au chômage sur une certaine période. De même, en cas d’incapacité de travailler pour des raisons de santé, des indemnités maladies sont versées. Enfin, à partir d’un certain âge, les travailleurs vont toucher des revenus sans avoir à occuper un emploi.

On retrouve donc ici ce même parallèle qu’avec le secteur spécifique de la santé. Le capital ne peut pas tout et à un moment donné, une solution d’assurance collective est infiniment plus efficace que sa sollicitation à l’infini. (...)

La crise du Covid-19 et la comédie du sauvetage de l’économie

Cette crise nous a montré combien le caractère assurantiel du capital était faible pour le salariat. Les sociétés qui se sont retrouvées de facto fermées ont immédiatement arrêté les contrats d’intérim, ont mis fin aux périodes d’essai et n’ont pas renouvelé les CDD. Pour le reste, le gouvernement a immédiatement levé l’obligation de payer les cotisations sociales pour l’ensemble des entreprises ouvrant la voie à des remises définitives de celles-ci pour les secteurs les plus touchés. Afin que les entreprises ne mettent pas fin aux CDI, le gouvernement a mis en place des mesures de chômage technique qui garantissaient aux salariés un maintien partiel de leurs revenus. Pour le dire clairement, le caractère assurantiel du salariat n’était pas très important et pour que les sociétés ne licencient pas de trop et/ou ne soient pas en faillite, l’État s’est porté à leur secours pour les maintenir tant bien que mal pendant le confinement. Mais ces mesures de chômage partiel ne pourront se maintenir indéfiniment et les plans de licenciements commencent à être dévoilés.

Ces mesures ont été décidées au nom du sauvetage de l’économie. Il y avait effectivement un risque systémique (...)

Une approche plus logique aurait été possible qui consistait à faire le distinguo entre la société de capitaux et l’entreprise. L’entreprise est avant tout chose un collectif de travailleur.ses qui réalisent ensemble une production. Une société de capitaux est une association d’individus qui apportent les capitaux initiaux pour financer l’entreprise et qui, en contrepartie la dirige pour en extraire des profits. Comme les cotisations sociales sont une composante du salaire, nous aurions dû constater la faillite des sociétés de capitaux et de leurs propriétaires, sans que cela entraîne une disruption de l’entreprise : cela pouvait se faire en permettant aux salarié.es de diriger l’entreprise en lieu et place des actionnaires. Ceci est largement préférable à la procédure de redressement judiciaire dans laquelle les créanciers voient leurs dus gelés, ce qui peut favoriser les faillites en cascades. Mais cela suppose que les salaires soient assurés hors de la sphère de l’entreprise, ce que nous allons proposer plus loin.
Les drames de l’après covid : côté salarial, patronal et environnemental

La sortie de ce plan de secours de « l’économie » s’annonce catastrophique. Cela fait des décennies que nous connaissons du chômage et de la précarité. La crise du coronavirus nous a mis face à cette terrible réalité : dans un pays aussi riche que le nôtre, des personnes ont eu faim car elles se sont trouvées sans ressources du jour au lendemain. Des faillites de sociétés s’annoncent, des plans de licenciements se préparent. Le chômage va bondir de nouveau. La situation qui prévalait avant la crise sera pire demain. C’est ce qui s’annonce côté salarial.

Du côté des personnes qui détiennent des portefeuilles d’actions, la vie n’est pas si mauvaise que cela. Certes, elles ont encaissé des pertes sur certains secteurs mais sur le fond, détenir un portefeuille n’est pas donné à tout le monde et elles ne sont jamais qu’un peu moins riches. Mais le capital a une autre réalité, celle d’individus qui ont investi leur propre argent dans un hôtel, un restaurant, un commerce ou une petite société, et qui, du fait d’une pandémie dont ils ne sont en rien responsables, vont perdre la totalité de ce qu’ils ont mis dans l’entreprise. Nous vivons dans une société qui vante la prise de risque, qui salue ces aventuriers des temps modernes que seraient les entrepreneurs et qui va laisser un certain nombre d’entre eux ruinés et parfois même endettés à vie si ceux-ci ont eu le malheur de signer une caution solidaire sur les prêts bancaires qu’a contractés l’entreprise. Ces personnes se sont engagées à fond dans le grand loto du capital, ont parfois été de vrais exploiteurs ou à l’inverse ont été largement sous-payés. Il ne s’agit pas ici de porter un jugement moral mais de constater l’absurdité d’un système qu’il n’est plus possible de défendre.

Alors que le caractère assurantiel du capitalisme a été mis en défaut durant la crise du covid-19 et menaçait de provoquer des défauts en cascade, il a été sauvé artificiellement par une intervention massive de l’État et de la Banque centrale européenne. Il apparaît maintenant que ce sauvetage n’a été que temporaire, que de nombreuses entreprises seront en faillite et que des grandes sociétés préparent déjà des plans de licenciements pour les mois à venir. (...)

On a tout à perdre à rester dans ce système.

Quelle sortie de système ? (...)

Il s’agit de poser en principe que toute personne a droit à un revenu parce qu’elle a le droit de vivre décemment. Ce revenu correspond à des droits d’acheter la production. Dès lors, ceci ouvre le débat sur la contrepartie de ce revenu. Est-ce que tout ou partie de ce revenu est inconditionnel ou doit-il être obtenu en contrepartie d’un travail et si oui, selon quelles modalités doit-on obliger les personnes à accepter un emploi ? Mais poser cette question suppose que l’ensemble des unités de production soient en mesure de proposer des emplois.

C’est ici que la péréquation interentreprises est essentielle en tant que régime obligatoire. (...)

Tout ceci est l’objet de délibérations politiques et constitue de fait une rupture profonde avec l’ordre capitaliste dans lequel le revenu est la contrepartie de la valorisation marchande de la force de travail. Cette socialisation d’une partie du revenu permet d’assurer un revenu à chaque unité de production pour toute personne employée, ce qui ne peut qu’inciter à embaucher et assurer ainsi une garantie de plein emploi dans le cadre d’une économie sans actionnaires.

Le second risque qu’assurait le capital était l’investissement. On ne pourra jamais interdire à quelqu’un d’investir son argent dans une entreprise s’il y travaille mais on peut raisonnablement penser que tout le monde préférera financer ses investissements de façon externe. Là encore, la réponse se trouve dans un système financier socialisé dont la sécurité est assurée par des cotisations obligatoires. Il faudra donc que l’intégralité des actifs des entreprises soient financée par emprunts afin de faire disparaître la notion de capital et de fonds propres. Ces emprunts seront réalisés par des banques qui, comme les autres entreprises, seront autogérées par leurs salarié.es. (...)

Au nom du risque assurantiel pris par le capital sur les investissements, celui-ci dirige les entreprises en lieu et place de celles et de ceux qui y travaillent, ce qui limite très fortement la démocratie dans nos sociétés. Qui plus est, la garantie qu’offre le capital sur les salaires est extrêmement faible, le chômage et la précarité étant largement présents dans nos sociétés. Seule, une extension du principe de l’assurance collective à l’investissement et aux revenus sera de nature à démocratiser pleinement l’économie en permettant d’effectuer des choix collectifs tout en garantissant des revenus à toutes et à tous.