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Mediapart
Depuis Odessa, un Chinois fait entendre une voix antiguerre
Article mis en ligne le 18 mars 2022

Wang Jixian, un informaticien de 37 ans originaire de Pékin, diffuse un blog vidéo quotidien depuis la ville portuaire ukrainienne d’Odessa. Avec un ton et des prises de position qui le distinguent de la propagande officielle chinoise et lui attirent insultes et menaces de mort de la part des internautes nationalistes.

Originaire de Pékin, il en a l’accent et la gouaille. En juillet 2021, il est arrivé en provenance de Macédoine.

Depuis le déclenchement de la guerre, il rend compte de la situation sur les réseaux sociaux – chinois, avant d’en être banni, puis occidentaux. Sur YouTube, il est désormais suivi par plus de 55 000 abonné·es. Lundi 14 mars, avant de se rendre au travail, il donne les dernières nouvelles : les sirènes d’alarme de 3 heures à 4 heures du matin, puis le calme. Il filme depuis sa fenêtre un de ses voisins qui promène son chien au mépris du danger.

« Depuis le déclenchement de la guerre, je comprends mieux les Ukrainiens, ils sont bien plus courageux que je ne l’imaginais, ils se battent pour la gloire », explique à Mediapart celui qui dit apprécier l’art et la culture d’Odessa, l’opéra, le théâtre... (...)

Le 1er mars, il a expliqué longuement pourquoi il souhaite y rester, réfuté les accusations de terrorisme lancées contre les Ukrainiens par les Russes, évoqué l’un de ses amis originaires du Donbass, et les insultes reçues sur les réseaux sociaux chinois l’accusant d’être un traître. « Qui sommes-nous, des traîtres, des terroristes ? Nous ne voulons pas mourir, nous voulons vivre vieux, nous ne voulons pas que nos maisons soient bombardées, est-ce que c’est une erreur ? »

Wang Jixian rejoint la cohorte de journalistes citoyens chinois qui se servent des réseaux sociaux pour donner une vision différente de celle que veut imposer le régime de Xi Jinping. On les a entendus au moment de la pandémie, avant qu’ils ne soient réduits au silence, et on en retrouve aujourd’hui en Ukraine pour montrer autre chose que la version des médias officiels chinois. Mais lui refuse la qualification. « J’enregistre juste ma vie quotidienne et je la partage avec mes amis. » Il est, dit-il, « un citoyen chinois, résident temporaire en Ukraine ». Il avait réussi à collecter tous les documents nécessaires à un permis de longue résidence et les avait remis à son avocat. « Et le lendemain, Poutine a déclenché la guerre. » (...)

Dans une vidéo, Wang Jixian met les points sur les i : « Je souhaite également utiliser ma voix pour demander à mes abonnés de ne pas juger à l’emporte-pièce les Russes, parce que la guerre n’a pas été déclenchée par les Russes, elle a été déclenchée par Poutine. Mes collègues, mes amis sont russes, ils ne veulent pas être représentés [par Poutine – ndlr], ils ne sont pas en faveur de la guerre. Quand Poutine a commencé cette guerre, s’il représentait la Russie, au moins les gens autour de moi ne se sentaient pas représentés par lui. J’étais entouré de personnes qui ne soutenaient pas la guerre. »

Il est fascinant de comparer la langue et la parole libres de Wang Jixian et les récits compassés de la chaîne China Central Television (CCTV) à l’heure du grand journal du soir, le « Xinwen Lianbo ».

Les présentateurs du journal de 19 heures reprennent la phraséologie des autorités russes en évoquant une « opération militaire spéciale » mais aussi les arguments de Moscou (...)

Wang Jixian, lui, fait entendre la voix du peuple d’Odessa, qui cherche à survivre et qui se bat aussi, montre des images de guerre, réfléchit sur le sens de la vie, pleure en évoquant des amis ukrainiens qui ont perdu des proches. « La neige tombe, je vis encore », dit-il le 1er mars. (...)

Après la suspension de son compte sur Sina Weibo et sur WeChat, sous l’accusation de « diffuser des rumeurs malveillantes et des contenus illégaux », il se filme le 7 mars avec du sparadrap noir sur la bouche, expliquant avec des gestes qu’il ne peut plus parler de la situation. Interrogé par le service en chinois de la radio Voice of America (VOA), il explique avoir « deux champs de bataille », car il est l’objet de critiques et d’insultes de la part d’internautes nationalistes chinois, qui l’accusent d’être payé par les Américains.. (...)

Il lance aussi à ses détracteurs : « Tous les Russes ne soutiennent pas Poutine, pourquoi êtes-vous plus favorables à Poutine que les Russes ? »

« J’ai deux champs de bataille maintenant, a-t-il expliqué à VOA. Le premier est horrible. Il y a des chars, mais je peux les voir, je peux les toucher. Je peux aussi les esquiver. Le champ de bataille à l’arrière est plus effrayant. Je ne peux pas le voir, mais il est là. Je ne sais même pas qui c’est, mais il me dit qu’il souhaite ma mort. »

Il envoie des preuves du harcèlement qu’il subit, allant jusqu’aux menaces de mort envoyées par un homme encagoulé brandissant un couteau. Il nous explique avoir choisi le témoignage vidéo après s’être demandé « comment arrêter cette guerre ». (...)

Début mars, Wang Jixian a été rejoint par un Chinois qui a fui Kharkiv – il a filmé ses différentes tentatives d’évacuation par le train – et s’exprime, lui aussi, sur YouTube. Un autre esprit indépendant.