
Cette semaine, nous sommes allés à la rencontre de Julie, qui a travaillé pour une entreprise chargée d’ « améliorer » le fonctionnement de Cortana, l’assistant vocal de Microsoft, en écoutant une à une diverses paroles captées par la machine (volontairement ou non).
Nous partageons ici son témoignage édifiant, en vidéo ainsi qu’à l’écrit (en fin d’article).
Comme nous le rappelle Antonio Casilli ci-dessous, ce récit souligne exactement les pratiques très « humaines » que l’on retrouve en masse sous les miroirs trompeurs d’une soi-disant « intelligence artificielle ».(...)
Malgré les allégations de leurs producteurs, les assistants virtuels qui équipent les enceintes connectées trônant dans nos salles à manger ou qui se nichent jusque dans nos poches, installés sur nos smartphones, ne naissent pas intelligents. Ils doivent apprendre à interpréter les requêtes et les habitudes de leurs utilisateurs.
Cet apprentissage est aidé par des êtres humains, qui vérifient la pertinence des réponses des assistants virtuels aux questions de leurs propriétaires. Mais plus souvent encore, ces êtres humains « entraînent » les dispositifs, en leurs fournissant des données déjà préparées, des requêtes avec des réponses toutes faites (ex. « Quelle est la météo aujourd’hui ? » : « Il fait 23 degrés » ou « Il pleut »), des phrases auxquelles ils fournissent des interprétations (ex. savoir dans quel contexte « la flotte » signifie « un ensemble de navires » ou « la pluie »).
Ces dresseurs d’intelligences artificielles sont parfois des télétravailleurs payés à l’heure par des entreprises spécialisées. Dans d’autres cas, ils sont des « travailleurs à la pièce » recrutés sur des services web que l’on appelle des plateformes de micro-travail.
Celle de Microsoft s’appelle UHRS et propose des rémunérations de 3, 2, voire même 1 centime de dollar par micro-tâche (retranscrire un mot, labelliser une image…). Parfois les personnes qui trient vos requêtes, regardent vos photos, écoutent vos propos sont situés dans votre pays, voire dans votre ville (peut-être vos voisins d’en bas ?). D’autres fois, ils sont des travailleurs précaires de pays francophones, comme la Tunisie, le Maroc ou Madagascar (qui s’est dernièrement imposé comme « leader français de l’intelligence artificielle »
Les logiciels à activation vocale tels Cortana, Siri ou Alexa sont des agents conversationnels qui possèdent une forte composante de travail non-artificiel. Cette implication humaine introduit des risques sociétaux spécifiques. La confidentialité des données personnelles utilisées pour entraîner les solutions intelligentes est à risque. Ces IA présupposent le transfert de quantités importantes de données à caractère personnel et existent dans une zone grise légale et éthique.
Dans la mesure où les usagers des services numériques ignorent la présence d’êtres humains dans les coulisses de l’IA, ils sous-estiment les risques qui pèsent sur leur vie privée. Il est urgent de répertorier les atteintes à la privacy et à la confidentialité associées à cette forme de « digital labor », afin d’en estimer la portée pour informer, sensibiliser, et mieux protéger les personnes les plus exposées.(...)
Témoignage complet de Julie(...)
Les outils comme Cortana sont hautement intrusifs et ont accès à une liste impressionnante de données personnelles, qu’ils exploitent et développent simultanément.
La collecte de données qu’ils peuvent permettre peut être utilisée à votre insu, détournée, utilisée contre votre gré, tombée entre de mauvaises mains, être exploitée à des fins auxquelles vous n’avez jamais consciemment donné votre accord…
Personnaliser les paramètres de confidentialité de services de ce genre requiert parfois des compétences en informatique qui dépassent l’utilisateur amateur, et des écrans de fumée font oublier que vous sacrifiez et marchandez votre vie privée à l’aide de formules comme "personnalisation du contenu", "optimisation des résultats", "amélioration de votre expérience et de nos services".
Beaucoup d’utilisateurs se sentent dépassés par tout ça, et les GAFAM savent exactement comment en tirer parti.