
Depuis le 26 février, un groupe d’une vingtaine d’Algériens est bloqué dans la zone de transit de l’aéroport Charles de Gaulle. Arrivés majoritairement de Londres, les passagers dont des enfants et des personnes âgées, se sont vus refuser l’accès à leur vol par la compagnie Air Algérie. Depuis trois semaines, ils vivent dans une partie de zone de transit dans des conditions déplorables. Témoignages.
« On veut rentrer en Algérie ! » Ce cri de détresse est sans cesse répété et partagé par tous les moyens par un groupe de 27 Algériens bloqués à l’intérieur de la zone de transit de Roissy depuis le 26 février dernier.
Une trentaine de passagers d’origine algérienne, venus de Grande Bretagne, se sont vus interdir l’accès à leur avion en direction d’Alger. « On ne comprend pas, à l’embarquement Air Algérie nous dit qu’on ne rentrera pas pour raison sanitaire, à cause du variant britannique », détonne l’un des passagers. Le 28 février dernier, deux jours après leur arrivée à Paris, le gouvernement algérien a annoncé la suspension des liaisons aériennes à partir du premier mars, pour réduire les contaminations dues au variant anglais.
D’après plusieurs témoignages sur place, confirmés par le groupe ADP (Aéroport de Paris), ces passagers ont présenté un test PCR négatif à leur arrivée à l’aéroport et au moins la moitié d’entre eux seraient déjà vaccinés d’après les informations données par des employés d’ADP et des passagers. (...)
. « Treize vols ont défilé sous nos yeux. Certains pouvaient accueillir jusqu’à 330 passagers », relate Hocine, médecin algérien, bloqué lui aussi à Charles de Gaulle. Comme les autres membres du groupe, il erre à Roissy Charles De Gaulle, avec sa femme et sa fille de trois ans et demi, dans des conditions indécentes, en pleine épidémie de Covid-19.
Seuls des employés bénévoles nous aident à manger, mais je crois qu’ils ont été signalés.
Interrogée par le BB, l’ambassade algérienne assure que « la compagnie Air Algérie a pris en charge, durant 15 jours, les frais de restauration et autres ». Sur place, des témoins rétorquent que le dispositif s’est arrêté depuis le 9 mars dernier. « Air Algérie nous a donné des tickets d’une valeur de 15 euros par jour pour manger. Après quoi ils nous ont dit soit vous retournez en Angleterre, soit on ne peut rien faire pour vous », renseigne Hocine sur place.
Depuis la fin de la prise en charge alimentaire, le groupe de passagers algériens se nourrit tant bien que mal par ses propres moyens à l’aéroport. Les prix et la qualité des produits sont très vite devenus un problème pour le groupe qui compte des personnes atteintes de maladies chroniques. « Des gens sont venus jusqu’à l’aéroport pour leur amener à manger. Mais il faut une autorisation spéciale pour accéder à la zone de transit », explique un membre du personnel aéroportuaire. (...)
« Mon cœur s’est brisé quand j’ai vu toutes ces personnes dormir à même le sol. Il y a une dame de 78 ans, des enfants, des malades. Ils sont ignorés et méprisés. Ils ne font pas de bruit, sont très respectueux. Ils lavent leurs vêtements à l’eau froide et se débrouillent pour les étendre sans déranger personne », confie l’un des membres du personnel aéroportuaire.
Touchés par la situation de ces Algériens, plusieurs employés de la structure ADP distribuent bénévolement des petits snacks et des repas chauds. (...)
Contacté, le groupe ADP (Aéroport de Paris) a déclaré au BB que « la résolution relève des autorités, algériennes, mais aussi anglaise ou françaises pour les binationaux. Il n’y a pas de binationaux français. » Le groupe aéroportuaire explique avoir « pris en charge humainement [les passagers] avec un minimum de kit de confort » et « donné accès à des locaux de douche ».
Un membre de l’établissement nuance cependant les propos d’ADP, en déclarant : « ils ont commencé à bouger quand il y a eu une médiatisation. Le kit minimum de confort c’est juste une couverture. » Les passagers interrogés confirment cette dernière information.
D’après eux, ils n’ont pas reçu d’aide complémentaire spontanée du groupe ADP. « Ils nous ont laissé disposer de ce coin de transit. Mais pour la douche, c’est moi qui ai fait la demande à ADP, aux alentours du 9ème jour. » Pour se doucher, les personnes autorisées doivent se rendre dans un hôtel, situé entre le quai L et K. « La première douche a été payée par Air Algérie. J’ai essayé de négocier avec ADP, ça reste à nos frais 20€ les 30 minutes par personne », relate Hocine. L’un des membres du groupe de voyageurs confie ne pas s’être douché depuis 3 semaines.
Une escale devenue source de danger médical
De son côté, le groupe ADP assure également que des médecins surveillent quotidiennement ces passagers Algériens. L’un des passagers fait référence à une équipe qui vient les voir, mais ne mentionne pas de spécificité médicale. (...)
« Nous sommes 26 dans l’aéroport. Un homme est hospitalisé depuis une semaine. Il s’apprêtait à faire une crise cardiaque à cause du stress. Pourtant, il n’avait pas de problèmes de santé particuliers », explique le docteur bloqué dans l’aéroport.
« L’une des choses difficiles, c’est la climatisation. On dirait qu’on est dans une chambre froide. On commence à tomber malade, la fièvre, le rhume… », renseigne l’une des passagères. « Pareil pour les haut-parleurs, on dirait qu’ils sont plus forts. On entend des annonces plusieurs fois par jour… », explique-t-elle, excédée. Le moral des troupes est au plus bas. « Les gens qui passaient avaient du mal à nous croire », raconte Hocine.
Moi et un ami présent ici avons reçu le mail d’Air Algérie qui nous dit qu’on ne pouvait pas partir, le jour du départ à 4 heures du matin.
Problèmes de communication le jour du départ
D’après l’ambassade algérienne contactée par nos soins, « les personnes concernées ont été saisies individuellement par l’agence d’Air Algérie à Londres, les informant de l’annulation de leur billet d’avion Paris-Alger. » Sur place, des passagers interrogés assurent qu’ils n’ont pas reçu de notification. (...)
« Comme il n’y a pas de vol direct Londres-Alger, les passagers ont fait une escale à Paris. Arrivés à Paris, le Consulat d’Algérie à Créteil modifie sa liste et leur dit que c’est annulé pour eux. Ces personnes restent sans informations », explique une source à l’aéroport. (...)
Le 2 mars, le consul d’Algérie à Créteil a rencontré le groupe d’Algériens avec un représentant d’Air Algérie. Il explique au groupe qu’ils doivent retourner en Angleterre en attendant un rapatriement. Le refus du groupe est catégorique, et le groupe se sent abandonné par les autorités. « Où est votre humanité monsieur le Consul ? », implore une Algérienne.
Un refus catégorique d’un retour en Grande-Bretagne motivé par le rapatriement de deux Algériens
L’ambassade algérienne a indiqué au BB « qu’Air Algérie a affiché sa disponibilité à prendre en charge les billets de retour vers leurs lieux de résidence, payer les frais des tests PCR, rembourser leur billet Londres-Paris, prendre en charge l’excédent de bagages. Air Algérie s’est également engagée à prendre en charge les frais d’hôtel le temps d’organiser leur retour. »
Hocine acquiesce. « C’est vrai, mais pour l’hôtel c’est 4 jours seulement, ensuite il faut une décision administrative. Les policiers nous ont dit ça », nuance-t-il.
Le groupe n’accepte pas ces propositions. « Ça voudrait dire que je suis resté 3 semaines ici pour rien ? », s’exclame un passager. « On ne comprend pas pourquoi deux étudiants sont rentrés le 27 février. Ils étaient avec nous pourtant. On nous dit qu’ils n’avaient pas de papiers britanniques et étaient sans logement. Ils sont partis discrètement, escortés par la police. Mais ici il y a un sans papier et une dame de 78 ans qui ne peut pas retourner à Londres. Qui va payer les 15 jours d’hôtel pour la quarantaine là-bas ? », s’énerve l’un des passagers.
« Air Algérie a changé les billets en Air France pour l’Angleterre, mais personne ne voulait y aller, surtout quand on a vu que les deux jeunes étaient partis. Certains d’entre nous ont tout en Algérie : famille, travail. Une petite fille est scolarisée là-bas », conclut Hocine. (...)
Une mobilisation extérieure pour régler un problème à huis-clos
« Ça nous a fait plaisir de voir la solidarité des gens », sourit Hocine après avoir vu la mobilisation de ses concitoyens sur les réseaux sociaux. L’alerte donnée par « Miimii Boumboum », personnalité suivie par une centaine de milliers de personnes sur Instagram, s’est répandue comme une traînée de poudre. « Je ne l’ai su qu’au 17ème jour. L’information est remontée par une abonnée », explique la jeune femme. « Je suis éducatrice, ce qui m’a choquée en premier ce sont les enfants. Presque empêcher les agents de nourrir des personnes dans le besoin, c’est une régression pour la France. Il faut mettre en avant la bonté de ces gens qui prennent des risques », raconte-t-elle.
Très vite, les abonnés de Boumboum notifient des personnes influentes et des médias tous les jours. La communauté contacte entre autres Air Algérie, les consulats algériens de nombreux pays, ainsi que l’ambassade de France. « Idéalement, on espère qu’ils rentreront en Algérie, ou qu’ils soient pris en charge avec un billet de retour garanti et gratuit, et que les gouvernements français et algériens prennent leurs responsabilités », affirme Miimii Boumboum, aussi engagée sur le terrain humanitaire.
À ce jour, la mobilisation prend de l’ampleur sur les réseaux sociaux pour que ces 27 Algériens puissent enfin rentrer chez eux. Les passagers et leurs soutiens espèrent que l’action des internautes motivera une issue positive de cette situation inédite aux airs de Terminal de Steven Spielberg, dont ils se seraient bien passés. « On ne demande rien, juste de rentrer en Algérie », supplie l’une des passagères qui s’apprête à passer sa 22ème nuit à l’aéroport.