
Dans cette tribune, les compagnons de route de Pierre Rabhi ont tenu à réagir aux polémiques qui ont agité les réseaux sociaux à la mort du paysan. L’homophobie, le sexisme et le sectarisme qui lui ont été reprochés sont selon eux infondés.
Nous qui le connaissions bien, qui avons travaillé avec lui, qui l’avons côtoyé durant des années voire des décennies, nous avons été ahuris par la violence de ces attaques et par le décalage entre ce qui était dit et ce que nous connaissons de Pierre.
Pierre Rabhi n’était pas parfait. Il était comme tout le monde. Ce que semble avoir (re)découvert une partie de la presse qui, après l’avoir exagérément porté au pinacle (contribuant à forger une image de « prophète » de l’écologie), se plaisait à l’égratigner ou à ne plus l’inviter, le trouvant moins fréquentable. Pourquoi ? Parce que des accusations en homophobie, en misogynie, en sectarisme et en enrichissement personnel couraient. Une enquête du Monde diplomatique, une dans Vanity Fair et un extrait d’un livre d’entretiens, resservis ad nauseam sur les réseaux sociaux, servent désormais de preuves à charge pour solder le cas Rabhi. Lui qui fut si souvent accusé d’être trop consensuel, ne l’est finalement plus du tout.
Il ne s’agit pas ici de le défendre coûte que coûte. Nous sommes nombreux parmi les signataires de ce texte à avoir connu des désaccords avec Pierre. Et tant mieux. Les désaccords font grandir, pour qui se respecte. Il s’agit plutôt de rétablir des faits.
L’importance du contexte
Commençons par l’accusation d’homophobie. Elle tient à une phrase extraite d’un livre d’entretiens avec Olivier Le Naire, Pierre Rabhi semeur d’espoirs (Actes Sud, 2013) : « Je considère comme dangereuse pour l’avenir de l’humanité la validation de la “famille” homosexuelle alors que, par définition, cette relation est inféconde. » Cette phrase, isolée de son contexte, est bien évidemment choquante à bien des égards pour qui se bat pour les droits des personnes LGBTQIA+. Nous sommes d’ailleurs un certain nombre à l’avoir été. Mais tout est (comme très souvent) dans le contexte.
L’ouvrage paraît en plein débat sur le mariage pour tous. Pierre est donc interrogé sur le sujet. Lorsqu’on lit le passage en entier, on constate que cette phrase sert d’introduction à une réflexion sur la PMA. En disant maladroitement « la validation de la famille homosexuelle », il parle de la possibilité pour les couples de même sexe de faire usage de la PMA pour procréer. À aucun moment il ne juge l’homosexualité. Au contraire, puisqu’il dit quelques lignes plus haut : « Des personnes adultes de même sexe, attirées humainement et sexuellement entre elles, et désireuses de répondre à cette attirance, n’engagent que leur stricte responsabilité, en toute liberté. Que la société décide d’institutionnaliser ce phénomène ne me choque pas outre mesure, entre adultes consentants. » Conviction qu’il réaffirmera clairement quelques années plus tard dans La convergence des consciences (Le Passeur, 2016) : (...)
Ses réserves exprimées sur la PMA en 2013 peuvent être considérées comme conservatrices ou rétrogrades, mais elles ne regardaient que lui (il n’a jamais participé à la moindre manifestation, à la moindre tribune pour promouvoir ce type d’idées) et n’étaient certainement pas homophobe. Comme la société, depuis 2013, Pierre Rabhi avait évolué sur ces sujets. Toujours dans Semeur d’espoirs, il en donnait une lecture intime : « Ce qui me pose problème, c’est que l’enfant innocent puisse être l’otage de partis pris. Moi qui ai été déchiré entre plusieurs familles, je ne vous dirai pas que cela a arrangé ma vie. Ça l’a compliquée et j’en garde une profonde blessure. » (...)
Comme de nombreuses personnes, Pierre Rabhi parle à partir de sa souffrance personnelle, de son histoire, que l’on peut lui reprocher de généraliser, tout en admettant être « un vulgaire et attardé conformiste » sur le sujet. Certes, Pierre Rabhi appartenait à une autre génération (il avait 75 ans à la publication du livre) et à bien des égards il ne comprenait pas certaines évolutions de la société (...)
galité ou complémentarité
Les accusations de misogynie proviennent encore une fois d’une phrase extraite de son contexte sans explication. Dans une interview pour le magazine Kaizen le 28 mai 2018, répondant à une question sur l’égalité homme-femme, Pierre a dit : « Je crois qu’il ne faudrait pas exalter l’égalité. Je plaide plutôt pour une complémentarité : que la femme soit la femme, que l’homme soit l’homme et que l’amour les réunisse dans cette complémentarité. » Lorsqu’il parle de « complémentarité » plutôt que « d’égalité », il s’inscrit dans une pensée de la diversité. Il avait aussi coutume de dire qu’il valait mieux chercher l’équité sociale que l’égalité, arguant qu’on ne pouvait véritablement être égaux dans un monde où la diversité nous dotait de qualités différentes, de circonstances différentes. Mais qu’il était possible d’atteindre l’équité. Il soulignait ainsi le fait que femmes et hommes étaient différents et que la complémentarité entre le féminin et le masculin était une richesse.
À nouveau, dans un monde où le genre tend à être effacé, cette vision des choses peut choquer certains. Mais elle n’est en rien une forme de misogynie. Nous défions quiconque de trouver dans un propos de Pierre Rabhi l’expression d’un mépris pour les femmes. Au contraire, il n’a eu de cesse de dénoncer la subordination de la femme dans nos sociétés, comme dans Semeur d’espoirs, où il affirme : « Je souffre réellement de cette anomalie quasi universelle (l’inégalité homme-femme), et elle devrait être inscrite parmi les questions prioritaires à résoudre." (...)
Egalité ou complémentarité
Les accusations de misogynie proviennent encore une fois d’une phrase extraite de son contexte sans explication. Dans une interview pour le magazine Kaizen le 28 mai 2018, répondant à une question sur l’égalité homme-femme, Pierre a dit : « Je crois qu’il ne faudrait pas exalter l’égalité. Je plaide plutôt pour une complémentarité : que la femme soit la femme, que l’homme soit l’homme et que l’amour les réunisse dans cette complémentarité. » Lorsqu’il parle de « complémentarité » plutôt que « d’égalité », il s’inscrit dans une pensée de la diversité. Il avait aussi coutume de dire qu’il valait mieux chercher l’équité sociale que l’égalité, arguant qu’on ne pouvait véritablement être égaux dans un monde où la diversité nous dotait de qualités différentes, de circonstances différentes. Mais qu’il était possible d’atteindre l’équité. Il soulignait ainsi le fait que femmes et hommes étaient différents et que la complémentarité entre le féminin et le masculin était une richesse.
À nouveau, dans un monde où le genre tend à être effacé, cette vision des choses peut choquer certains. Mais elle n’est en rien une forme de misogynie. Nous défions quiconque de trouver dans un propos de Pierre Rabhi l’expression d’un mépris pour les femmes. Au contraire, il n’a eu de cesse de dénoncer la subordination de la femme dans nos sociétés, comme dans Semeur d’espoirs, où il affirme : « Je souffre réellement de cette anomalie quasi universelle (l’inégalité homme-femme), et elle devrait être inscrite parmi les questions prioritaires à résoudre. (...)
Nous le disions en introduction de cette tribune, notre démarche ne vise pas à faire de Pierre Rabhi un saint, un sage ou quoi que ce soit de cet acabit. Nul angélisme ou mièvrerie liés à sa disparition non plus (comme on peut tristement le lire sur les réseaux sociaux). Pierre était un homme comme les autres, avec ses défauts, ses qualités, ses contradictions, son engagement, ses limites. Mais il était notre ami et, alors qu’il n’est plus là pour se défendre, nous avons tenu à rétablir quelques faits. Libre, ensuite, à chacun de se faire sa propre opinion et de choisir l’image qu’il gardera de lui. Pour nous, ce sera celle d’un ami fidèle et généreux, qui a mis sa vie au service de la défense du monde vivant.