Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Des hôpitaux misent sur des robots chirurgicaux à 1,4 million d’euros pour libérer des lits
#hopitaux #chirurgie #robots
Article mis en ligne le 11 avril 2023
dernière modification le 10 avril 2023

Des établissements aux moyens restreints investissent avec l’espoir de garder moins longtemps les personnes opérées et de faire ainsi des économies. Les fabricants, au lobbying offensif, sont les premiers gagnants.

Un gigantesque robot se dresse au milieu de huit personnels soignants dans le bloc opératoire de l’hôpital Necker-Enfants malades, à Paris. Au-dessus du patient de 16 ans atteint d’un cancer de l’estomac, les bras qui s’agitent ne sont pas ceux du chirurgien mais du robot. Le médecin est aux manettes, sur une console, quatre mètres plus loin.

Ce 13 février, Thomas Blanc, expert en chirurgie viscérale et urologique pédiatrique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), accomplit à distance les mêmes gestes que ceux qu’il réaliserait les mains dans le corps, mais avec une vue en 3D, et un zoom sur la cible à abattre : une rare tumeur qui s’en prend à l’estomac de l’adolescent. « Débrayage du bras », « criblage terminé », « arrimer les autres bras »… La voix féminine du robot oriente à la manière d’un GPS. Puis un des quatre bras mécaniques du robot s’enfonce dans l’estomac. À son extrémité, une caméra embarquée dans l’abdomen. (...)

Le chirurgien n’a pas la sensation du toucher des organes mais « c’est largement compensé par la qualité visuelle, on voit beaucoup mieux qu’en chirurgie ouverte classique », précise le spécialiste de cet hôpital de référence pour soigner les enfants. Le colosse, dénommé Da Vinci Xi par son fabricant, la société Intuitive, en référence aux multiples bras articulés d’un célèbre tableau du peintre, s’affaire à exfiltrer la tumeur. Vers 14 heures, le médecin peut rassurer les parents.

Malgré cet apparent progrès de la technologie, l’achat de ces robots ne fait pas consensus dans les couloirs des hôpitaux, parce que ces derniers ne croulent pas sous les financements et que les fabricants ont la main lourde sur les prix.

Sans le robot, il aurait fallu le même nombre de bras humains pour superviser les opérations. En chirurgie ouverte et sans opération en cœlioscopie (technique qui permet d’observer l’intérieur de la cavité et d’intervenir via une petite ouverture dans la paroi de l’abdomen), c’est-à-dire à l’ancienne, « le patient se serait retrouvé avec une énorme cicatrice des côtes jusqu’au pubis », compare Thomas Blanc.

Les praticien·nes qui maîtrisent cette technique de chirurgie mini-invasive y parviennent sans assistance d’un robot. « Mais le bras [de celui-ci] nécessite seulement une ouverture de 8 millimètres pour entrer. Il permet de passer entre les fibres musculaires et donc de ne pas couper le muscle, ce qui diminue la durée de rétablissement. Le patient aura besoin de trois à cinq jours d’hospitalisation, juste le temps que son estomac cicatrise pour qu’il puisse de nouveau manger », commente le spécialiste.

Cela laisse de la place pour accueillir davantage de patients.

La directrice de la performance des organisations à l’AP-HP

L’argument de la durée de séjour post-opératoire est celui le plus mis en avant par les chirurgien·nes qui se battent pour voir leur service équipé de cet outil onéreux de télémanipulation, star de la « medtech ». En urologie, spécialité pour laquelle on dispose de davantage de données (car les robots s’y imposent), opérer avec leur assistance permettrait de réduire la durée moyenne de séjour à l’hôpital de 1,7 jour, selon l’AP-HP, qui se base sur un échantillon de 668 patient·es.

« À partir du moment où la durée d’hospitalisation est diminuée, mécaniquement, cela laisse de la place pour accueillir davantage de patients », calcule Sophie Kerambellec, directrice de la performance des organisations des hôpitaux publics parisiens. (...)

Les résultats scientifiques consolidés démontrant les effets positifs, avec le plus haut niveau de preuves, manquent. Pour les dispositifs médicaux tels que les robots, les données d’efficacité demandées pour la mise sur le marché sont moindres que pour les médicaments.
52 millions d’euros pour neuf robots

Néanmoins, l’argument des bénéfices attendus pour les patient·es et des gains économiques espérés pèse suffisamment pour conforter les Hospices civiles de Lyon dans leur choix de se doter de sept nouveaux robots d’ici à la fin 2023, avant les suivants…

Cela correspond déjà à un investissement de 10 millions d’euros, l’achat d’une machine revenant en moyenne à 1,4 million d’euros. (...)

« Il n’y a pas d’argent magique. Ce qui est investi dans les robots, parce que les établissements ont priorisé ces demandes et qu’elles ont été estimées pertinentes, ne l’est pas dans d’autres postes comme par exemple ceux liés à la réfaction d’un hôpital de jour ou à l’achat d’autres équipements médicaux », admet Frédéric Batteux, directeur médical de la stratégie et de la transformation de l’AP-HP.
Le lobbying payant des fabricants (...)

L’État délègue une bonne partie de la formation continue des praticiennes et praticiens hospitaliers à l’industrie du médicament et des dispositifs médicaux, qui s’engouffre dans le vide laissé par le public.

Des chirurgiens VRP (...)

En formant, voire en formatant des pontes des blocs opératoires dans chaque pays, Intuitive entend en faire des VRP pour inciter les établissements de santé à investir. Le fabricant avait intérêt à quadriller le plus possible le marché avant l’arrivée de la concurrence, afin d’optimiser son monopole et de créer des habitudes pour les pros du bistouri d’aujourd’hui et de demain.

Le système de brevet lui ayant offert l’exclusivité de la commercialisation pendant 20 ans, Intuitive en a bien profité jusqu’en 2020. Seul sur le marché, il a pu imposer des prix faramineux, autour de 2 millions d’euros à l’époque, selon les informations de Mediapart.

Intuitive refuse en effet de donner une fourchette de prix, se contentant d’indiquer avoir vendu 200 robots en France, la moitié à des hôpitaux publics, l’autre à des cliniques. Chaque établissement espère ainsi attirer les chirurgien·nes les plus féru·es de technologie. (...)

Face à des hôpitaux en manque de moyens, les industriels de la santé, eux, les ont pour imposer leurs produits au prix fort.