
Jeudi 5 janvier, le garde des Sceaux a annoncé la mise en œuvre d’une soixantaine de mesures inspirées par les états généraux de la justice, touchant à tous les domaines. Une « loi d’orientation et de programmation » est prévue au printemps.
Avant moi, le déluge. C’est en substance le message qu’a voulu faire passer Éric Dupond-Moretti, jeudi 5 janvier, en présentant son « plan d’action » pour la justice, place Vendôme. Le rapport Sauvé, rendu en juillet à l’issue des états généraux de la justice, constatait « l’état de délabrement avancé » de l’institution. Le ministre prétend quant à lui mettre un terme à « un abandon politique, budgétaire et humain » qui a duré « trente ans », jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. (...)
Pour « remettre notre justice à flot », le garde des Sceaux promet de poursuivre l’augmentation de son budget, qui serait porté à « 11 milliards d’euros » en 2027 (contre 7,6 milliards en 2020 et 9,6 milliards en 2023), soit une hausse « de près de 60 % » au terme des deux quinquennats d’Emmanuel Macron.
À travers une « loi d’orientation et de programmation » qu’il doit présenter au printemps, le ministre rappelle son objectif de « 10 000 emplois supplémentaires » dans les métiers de la justice, dont « 1 500 magistrats et 1 500 greffiers », qui bénéficieraient de rémunérations « revalorisées » et d’une meilleure « qualité de vie au travail » susceptible d’attirer les candidats.
Cécile Mamelin, la vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), a exprimé auprès de France Inter son « sentiment de grande satisfaction » sur l’aspect budgétaire, traduisant à ses yeux une « volonté très claire de donner enfin à ce ministère régalien les moyens que les professionnels ne cessent de réclamer depuis des années ». « Les annonces vont plutôt dans le bon sens », estime aussi Ludovic Friat, le président de l’USM, qui attend néanmoins « de voir comment elles seront mises en œuvre ».
Samra Lambert, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature (SM) salue également « les moyens supplémentaires » mais réserve un accueil plus « mitigé » au plan dans son ensemble, décrit par la présidente du SM, Kim Reuflet, comme « une réforme plutôt gestionnaire ».
Confronté à un monde judiciaire sinistré, Éric Dupond-Moretti a de nouveau promis qu’un « outil d’évaluation de la charge de travail » des magistrats serait bientôt expérimenté dans quelques juridictions. Annoncé depuis vingt ans pour mieux cerner les besoins en effectifs, ce référentiel a été « planqué sous le tapis » par les ministres successifs, assure l’actuel, se disant soucieux de le finaliser. (...)
En matière civile (les affaires familiales ou liées aux contrats, 60 % des décisions de justice rendues chaque année), où les longueurs sont flagrantes, le ministre veut développer « une véritable politique de l’amiable » – c’est-à-dire des compromis entre les parties qui s’opposent - en espérant « diviser par deux » les délais. (...)
confier certaines tâches, aujourd’hui accomplies par des magistrats surchargés, à d’autres personnes.
Cécile Mamelin, vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats, se dit toutefois « dubitati[ve] sur le fait que ça puisse réduire de manière très significative les délais », puisque « quand les citoyens saisissent la justice, le conflit est plutôt avéré et il n’y a guère de place pour la conciliation ou la médiation ». « On nous propose plus de moyens alternatifs de règlement des conflits avec plus d’amiable et moins de juges, alors que la difficulté, c’est qu’il n’y a pas assez de juges », complète Samra Lambert, du Syndicat de la magistrature.
Dans le même esprit, Éric Dupond-Moretti entend « renforcer le recours aux mesures non judiciaires de protection » des quelque 800 000 personnes vulnérables, âgées ou handicapées, souvent placées sous tutelle ou curatelle. Si d’autres outils se développent - comme l’accompagnement social personnalisé ou le mandat de protection future –, la justice pourrait être moins sollicitée.
Ce développement des mesures « amiables » ou « non judiciaires » pose toutefois la question du traitement réservé aux justiciables les plus défavorisés ou éloignés du droit (...)
Des réformes pénales à venir
Pour ce qui est de la justice pénale, Éric Dupond-Moretti se fixe un objectif : réduire les délais d’audiencement devant les tribunaux correctionnels à un an maximum pour les dossiers « les plus lourds » et six mois pour les autres. Sans préciser comment il entend y parvenir. (...)
comme le préconisait le rapport Sauvé, deux cadres d’enquête aujourd’hui distincts pourraient fusionner : l’enquête de flagrance et l’enquête préliminaire, ce qui pose question sur la garantie des libertés et des droits de la défense. Les perquisitions de nuit, aujourd’hui possibles seulement en matière de terrorisme et de criminalité organisée, pourraient être étendues aux « crimes de droit commun », ce qui fait déjà hurler des avocats. De nouvelles prérogatives seraient accordées aux procureurs - comme la possibilité d’user plus largement de la comparution à délai différé - et aux juges des libertés et de la détention - qui pourraient modifier eux-mêmes un contrôle judiciaire. (...)
En ce qui concerne la surpopulation carcérale, qui a atteint des sommets inédits fin 2022, le gouvernement s’en tient à sa ligne : l’inflation immobilière plutôt que la déflation carcérale. (...)
En prison, Éric Dupond-Moretti veut promouvoir la réinsertion par « le travail », une denrée rare à laquelle seule 31 % de la population pénale a aujourd’hui accès. Le ministre veut porter le taux d’emploi au-dessus des 50 % d’ici à la fin du quinquennat, se félicitant que « 90 nouvelles entreprises » se soient récemment implantées en détention.
À la « perte de sens » des professionnels de la justice, Éric Dupond-Moretti oppose aujourd’hui son « enthousiasme » et sa « détermination ». À ses yeux, les états généraux de la justice constituent une « occasion historique ». Certaines de leurs préconisations ont cependant été laissées de côté. À commencer par celle qui semblait faire l’unanimité : la suppression de la Cour de justice de la République. Renvoyé devant cette juridiction pour prise illégale d’intérêts, le garde des Sceaux n’en a pas dit un mot.