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Reporterre
Des nanoparticules auraient causé la mort de dizaines de vaches dans le Haut-Rhin
Article mis en ligne le 10 novembre 2017
dernière modification le 9 novembre 2017

Quasiment tout un troupeau, situé à proximité d’une usine produisant des nanoparticules, a mystérieusement succombé entre 2014 et 2016. L’enquête indique que les particules de dioxyde de titane - qui sont utilisées dans l’alimentation - pourraient être impliquées. Reporterre révèle l’affaire.

C’est l’aboutissement de deux ans d’une enquête minutieuse... Les victimes ? Plus de 70 vaches d’un cheptel situé à Roderen, dans le Haut-Rhin, sur l’exploitation d’un agriculteur reconnu par ses pairs. Quasiment toutes sont mortes les unes après les autres, entre 2014 et 2016. Les dernières ont été vendues pour abattage avant leur décès. Le tueur ? Jusqu’ici, personne n’en avait la preuve. Mais ce jeudi matin 9 novembre, Michael Loeckx, journaliste scientifique travaillant pour les journaux allemands (Der Spiegel et ARD), et consultant en environnement, apporte des éléments de réponse, accompagné d’associations environnementales et de la Confédération paysanne locale. Selon ses recherches approfondies, les coupables seraient des nanoparticules de dioxyde de titane rejetées par l’usine Cristal, située sur la ville de Thann, voisine de moins de quatre kilomètres de la ferme. Le dioxyde de titane sert notamment d’additif alimentaire (E171), qui est utilisé de façon courante, en confiserie particulièrement.

Il a fallu beaucoup de ténacité pour percer ce mystère digne d’une « très mauvaise série télévisée », comme le raconte l’agriculteur malheureux sur son site internet. En 2014, il déplore une vingtaine de décès, « sans explication plausible, causant des pertes de revenus et d’importants frais vétérinaires ». Alerté par un habitant du village, un autre agriculteur, membre de la Confédération paysanne, Franz Baumann, se rend sur place. « Je suis aussi éleveur », explique-t-il à Reporterre, « et dans, ce cas-là, les réflexes que l’on peut avoir, c’est de faire venir des vétérinaires, de faire des analyses. Puis, si on ne trouve rien, on commence à faire appel à des experts dans d’autres domaines, pour trouver quelqu’un avec un regard différent pour déceler l’origine du problème. Vétérinaires et analyses n’ont rien trouvé. » (...)

Michael Loeckx veut s’assurer que les pratiques de l’agriculteur ne sont pas en cause dans cette contamination. Avec l’université de Berne, il abat deux bêtes en laboratoire pour prélever leurs organes et ne constate aucun problème d’ordre biologique (virus, bactérie ou autre parasite). « En revanche, on a pu démontrer que les problèmes rencontrés par les animaux provenaient de l’inhalation d’un produit toxique présent dans l’atmosphère de manière chronique », dévoile le scientifique.
« L’étape d’après, c’était donc d’analyser l’atmosphère beaucoup plus finement. On a fait des analyses d’air avec des filtres spécialisés pour le captage des nanoparticules. C’est là que l’on s’est rendu compte que les nanoparticules de dioxyde de titane étaient présentes en grande quantité » (...)

L’usine de Thann, située à quelques kilomètres de la ferme, emploie environ 240 salariés et est l’un des sept sites de production de dioxyde de titane de l’entreprise Cristal, le deuxième plus grand producteur mondial de cette substance. C’est un pigment blanc produit depuis 1922 dans l’usine, une substance chimique inoffensive sous sa forme normale. Il est utilisé pour ses propriétés d’opacité, de blancheur, notamment dans la nourriture, dans la peinture, les revêtements ou les plastiques. Seulement voilà, depuis une dizaine d’années, l’industrie du dioxyde de titane s’est mise à produire le produit sous forme de nanoparticules — on parle de l’échelle d’une cellule.

Contactée par Reporterre, l’usine Cristal de Thann n’a pas donné suite à nos appels.(...)

Le problème est que l’on ne connaît pas vraiment les effets de ces nanoparticules, présentes elles aussi partout : dans l’alimentation, les peintures, les textiles, les cosmétiques… Une multiplicité d’usages « inquiétante », comme le disait André Cicolella, toxicologue et président de l’association Réseau environnement santé, au journal l’Usine nouvelle. « Sous forme nanométrique, le dioxyde de titane passe à travers la peau et la molécule peut ainsi aller se loger un peu partout, y compris dans le cerveau. »
En janvier 2017, une étude de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) parvenait à démontrer la nocivité de ces nanoparticules sur le rat — sans toutefois que ces résultats puissent être extrapolés à l’homme. Les chercheurs montraient que des nanoparticules de l’E171 pénètrent la paroi de l’intestin et se retrouvent dans l’organisme des rats, provoquant des troubles du système immunitaire et générant des effets cancérogènes.

L’industrie du dioxyde de titane entretient d’ailleurs savamment la confusion entre l’usage « classique » du dioxyde de titane et son usage sous la forme nanométrique. (...)