
Nous avons eu l’occasion, dans un article publié le 2 février 2016, de revenir sur ce « moment de télévision » où le dispositif bien huilé de l’émission « Des paroles et des actes » a été perturbé par une jeune professeure d’anglais, Wiam Berhouma. Cette dernière a en effet « osé », alors que la parole lui était généreusement offerte lors du débat opposant Alain Finkielkraut et Daniel Cohn-Bendit le 21 janvier dernier, transgresser les règles de la bienséance télévisuelle et refuser de se soumettre aux injonctions du grand prêtre David Pujadas et de Sa Majesté Alain Finkielkraut. (...)
l’affaire n’en est, malheureusement, pas restée là. Dans les jours qui ont suivi l’émission, les rappels à l’ordre ont continué de pleuvoir, tous les moyens étant bons pour délégitimer, a posteriori, la parole de Wiam Berhouma : attaques contre sa personne, insinuations, mensonges et, last but not least, outrances d’Alain Finkielkraut lui-même. (...)
Le soir de l’émission, les premières attaques se multiplient contre celle qui a osé bousculer Alain Finkielkraut et le dispositif de « Des paroles et des actes », notamment sur les réseaux sociaux. Nous ne reproduirons pas ici les nombreux messages insultants, haineux et/ou menaçants, pour mieux nous concentrer sur le traitement, dans les « grands médias », de « l’affaire ». Quoi que l’on pense du contenu de l’intervention de Wiam Berhouma ou des idées qu’elle peut soutenir par ailleurs, une analyse critique des réactions qu’elle a suscitées s’impose, pour ce qu’elles révèlent de l’état et du fonctionnement du microcosme médiatique. (...)
La quasi-totalité de ces commentaires avisés oublient soigneusement de discuter du contenu de l’intervention de Wiam Berhouma, n’en retenant que la conclusion (venue après la réponse d’Alain Finkielkraut) : « Monsieur Finkielkraut, pour le bien de la France, taisez-vous ». Ce « taisez-vous », qui n’est pourtant qu’une reprise ironique d’une célèbre « réplique » d’Alain Finkielkraut (comme l’a rappelé Wiam Berhouma elle-même sur le plateau de France 2) a ainsi servi de prétexte commode pour s’indigner bruyamment et, surtout, pour ne pas répondre à l’argumentation de la jeune femme, tout en la délégitimant violemment. (...)
Rappelons qu’aucun de ces grands médias n’a pris la peine de contacter Wiam Berhouma pour lui donner la parole, et lui offrir ainsi l’occasion de se défendre contre la multiplication de raccourcis, mensonges et amalgames, qu’ils étaient il est vrai en train de contribuer à répandre, à la notable exception de Libération.fr dans un article mis en ligne le 4 février 2016. En revanche, plusieurs journalistes ont pris le soin de s’adresser à Alain Finkielkraut, voire même de lui ouvrir leur micro pour se « défendre ». (...)
non seulement Alain Finkielkraut, contrairement à Wiam Berhouma, a eu le droit à la parole après le « Des paroles et des actes » du 21 janvier, mais il a pu le faire sans contradicteur. (...)
« Défense de toucher à l’un d’entre nous, sous peine d’être trainé dans la boue » : tel semble être le mot d’ordre de ces journalistes, chroniqueurs et autres « intellectuels » de télévision, qui ne reculent devant rien pour écraser celles et ceux qui osent remettre en cause les règles du jeu de l’entre-soi médiatique. Des règles du jeu à géométrie variable, puisqu’elles ne s’appliquent qu’aux outsiders et que les tenanciers de l’espace médiatique s’assoient dessus quand bon leur semble. Ainsi va ce microcosme, au sein duquel les éventuelles (petites) divergences de points de vue s’effacent devant les solidarités de caste.
Un microcosme auquel nous pourrions, à notre tour, dire : « Taisez-vous ! »