
En 1882, le ministre de l’instruction publique Paul Bert, déclare, à l’occasion d’une conférence sur l’éducation civique, qu’ « il faut développer dans l’enfant la personnalité pensante. […] Et comme il n’y a pas de raisonnement sans critique, je ne recule nullement devant l’introduction dans l’enseignement civique, à dose mesurée et sous une forme toujours respectueuse, de la critique des institutions et des lois. Je demande lequel vaudra mieux, pour l’enfant sorti de l’école et devenu un citoyen, de se figurer que les lois et les institutions de son pays sont un dogme auquel il n’est pas possible de toucher, qu’on ne peut plus perfectionner, au risque de perdre tout d’un coup toutes ses illusions, sans savoir où devra s’arrêter la limite de ses critiques, ou bien d’avoir appris à l’avance qu’il est des points dans ces lois et ces institutions qui sont discutables, douteux, perfectibles[1]
125 ans plus tard…, le 9 juillet 2009, jour où je suis traduit en commission disciplinaire pour faits de désobéissance pédagogique, le ministre actuel de l’Education Nationale, Luc Chatel, déclare sur les ondes que « le principe même de désobéissance [lui] paraît peu compatible avec les valeurs qu’incarne un enseignant ». Il précise que « l’enseignant doit faire obéir ses élèves. Il incarne une autorité vis-à-vis de ses élèves, il y aurait un paradoxe qu’il ne s’applique pas à lui-même ses propres règles ». (...)
A cette « volonté de contrôle des consciences » devant aboutir à la délivrance d’un « certificat de bonne moralité[2] », dont le parallèle est frappant avec les injonctions pédagogiques actuelles du ministère et le renforcement du contrôle hiérarchique sur les professeurs des écoles, nous pouvons opposer la légitimité d’une révolte des consciences au nom d’une éthique professionnelle qui ne saurait se trahir sous peine de se renier.(...)
Désobéir ne signifie pas déserter ou mal faire son travail, mais l’accomplir autrement en mettant tout en œuvre pour répondre aux missions qui nous ont été confiées.(...)
Afficher sa désobéissance est par ailleurs la marque d’un grand respect pour le droit et la démocratie, ce qui renforce le caractère éthique et responsable de cette démarche (...)
La désobéissance éthique et responsable au sein du service public d’éducation est aujourd’hui un fait, certes minoritaire, mais suffisamment significatif pour que le débat sur l’obéissance et la désobéissance des fonctionnaires soit reconsidéré à de nouveaux frais. A cet égard, il est probable qu’inscrire dans le code de déontologie des fonctionnaires enseignants la possibilité de l’affirmation d’une objection de conscience, notamment sur le plan pédagogique, motivée, éthique et responsable, serait une avancée décisive. Elle serait source d’intelligence et de dialogue partagés avec notre hiérarchie et non de pressions, de contrôles et de sanctions, réponses révélatrices d’une conception de l’autorité et de la gouvernance d’un autre temps.