
Six décennies les séparent, mais Susan George et Léna Lazare se retrouvent sur un diagnostic, celui d’une société climaticide, et sur une réponse : la désobéissance pacifique.
Elles ne se connaissaient pas mais se sont rapidement tutoyées, tout en dégustant un café noir et des biscuits. Léna Lazare savait que Susan George est présidente d’honneur d’Attac. Susan George s’est étonnée des 20 ans de Léna Lazare. Plus de soixante années les séparent et, pourtant, tant de combats les rassemblent ! Notamment le recours à la désobéissance civile pour s’affirmer dans une société climaticide. Dans l’appartement feutré de Susan George, les échanges ont parfois digressé autour de la physique quantique, la gentrification de Paris ou la menace du capitalisme vert. Mais ces deux militantes aux centaines d’histoires ont livré leur pensée sur le mouvement écologiste qui gonfle et les stratégies à adopter pour grappiller quelques victoires déterminantes pour l’avenir de la lutte écologiste. (...)
Susan George : Il faut absolument que vous vous unissiez ! Défendre l’importance des coalitions a été l’une de mes actions à Attac : c’est cette stratégie qui nous a permis de remporter des victoires au niveau européen sur le Tafta, par exemple. Je ne connaissais pas XR Royaume-Uni, mais en découvrant sa tactique, j’ai été séduite. Je n’ai pas concrètement rejoint XR France, mais j’ai tenu à participer à son lancement. J’ai dit à ses membres que, s’ils menaient une action qui ne réclamait pas trop d’engagement physique, ils pouvaient compter sur moi et que j’étais prête à aller en prison avec eux. Mettre en prison une dame de mon âge mobilisée pour empêcher le mal à autrui, même une entité abstraite, les médias en parleraient !
Quand avez-vous commencé à militer et à désobéir ?
S. G. : J’ai commencé par les manifestations contre la guerre du Vietnam en 1967. C’est ce qui m’a politisée : avant, j’étais une bonne fille bourgeoise venue faire ses études en France, qui avait épousé un Français et avait eu trois enfants. À l’époque, quand on disait « US hors du Vietnam », tout le monde comprenait. Aujourd’hui, quand on lutte contre les traités internationaux, il faut un quart d’heure minimum pour expliquer l’enjeu du combat : c’est plus compliqué.
Quand j’étais jeune, on ne faisait pas vraiment de distinction entre se mobiliser et désobéir. (...)
L. L. : Mon engagement écologique a démarré avec la lutte antinucléaire post-Fukushima. Proche du Japon en raison de liens familiaux, j’apprenais le japonais depuis le collège. J’ai été si choquée par la catastrophe de 2011 que j’ai commencé à me documenter et à essayer de sensibiliser autour de moi. Un réalisateur de Fukushima est venu dans mon lycée et nous avons correspondu avec des lycéens japonais. Puis j’ai fait mon année de terminale au Japon. Aujourd’hui, je suis en licence de physique.
Je voulais être physicienne, mais le militantisme prend tellement de place dans mon quotidien que je cherche comment combiner mon action militante et mes études. (...)
Quel sens prend pour vous cette notion de désobéissance ?
S. G. : Il faut organiser des actions non-violentes mais spectaculaires. J’ai passé des années à essayer de provoquer un laugh-in : imaginez un rassemblement devant l’Élysée avec des centaines de personnes en train de rire ! Dans une province en Inde, la population a organisé un tel rassemblement devant le palais d’un gouverneur… qui a démissionné le lendemain.
L. L. : En septembre 2018, j’ai participé à une action d’Attac pendant laquelle on aspergeait les banques au savon noir pour dénoncer le financement des industries toxiques et la pratique de l’évasion fiscale. Les banques n’apprécient pas, car cela salit leur image, mais j’ai réalisé que nous nous faisions surtout plaisir à nous-mêmes. Les faucheurs de chaises dans les banques ou les décrocheurs de portraits de Macron dans les mairies, c’est rigolo et médiatisé, mais en quoi est-ce efficace ? (...)