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Détruire les invendus : “un gaspillage scandaleux”, pas dans la filière livre
Article mis en ligne le 10 juin 2019
dernière modification le 8 juin 2019

D’ici deux à quatre années, vient de promettre le Premier ministre, une législation interviendra dans le paysage français, pour limiter le gaspillage. Il s’agit là d’interdire la destruction des produits non alimentaires invendus — dans le cadre d’un dispositif qui serait une première mondiale. Cocorico, oui, mais dans l’industrie du livre, on pince le nez…

« Si la loi de non-destruction des invendus était étendue aux livres, il faut mesurer l’impact ! Plus de pilon, mais une obligation de remettre sur le marche en discount à prix cassé voir en faire cadeau », s’inquiète un éditeur. « Le marché est déjà sursaturé et là c’est tout le système qui s’effondre. Du coup obligation pour les éditeurs de réduire encore les tirages pour éviter de donner les livres en fin de vie. » (...)

Lutter contre un “gaspillage scandaleux”

Dans le principe, la mesure gouvernementale est pourtant des plus vertueuses : elle sera ajoutée au projet de loi antigaspillage, et pour une économie circulaire, qui doit être présentée en juillet prochain, lors du Conseil des ministres.

Elle a pour perspective d’introduire, d’ici la fin 2021, ou 2023 selon des dispositifs qui restent à définir, une obligation de don ou de recyclage des livres. Les deux dates se justifient par la présence, ou non d’une filière de recyclage — Responsabilité élargie des producteurs, ou REP — pour les produits concernés, avec la perspective de 2021. Pour ceux qui n’en disposent pas, on attendrait 2023.
(...)

De fait, seuls les produits qui seraient inutilisables, avec une sorte de date de péremption, échapperaient à cette mesure.

Le pilon, ou l’art fragile du recyclage ?

Une étude présentée en septembre 2017 par le Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne pointait que sur l’ensemble de la production imprimée, les éditeurs français en faisaient détruire 20 à 25 %, soit 142 millions d’ouvrages. Un principe de rentabilité court-termiste dénoncé par les auteurs de l’étude, mais que relativisait Pascal Lenoir, président de la commission Environnement et Fabrication du Syndicat national de l’édition.

Confirmant un taux de retour de l’ordre de 25 %, il nuançait le devenir des livres : « Ne sont en réalité pilonnés que les ouvrages abîmés, ainsi que ceux « au faible coût facial, qu’il coûterait trop cher de réintégrer dans le stock [… et] les livres millésimés qui par nature ont une durée de vie très courte ».

En revanche, les ouvrages non abîmés « sont réintégrés dans nos stocks et remis sur le marché en fonction des commandes libraires. Ce qui permet aux éditeurs d’éviter des réimpressions. Cela concerne tous les types d’ouvrage : les livres de littérature, les beaux-livres, les livres pour enfants, etc. ».

Or, si 100 % des ouvrages du pilon partent au recyclage, nous expliquait-il, il faut comprendre que « sur un plan purement économique, pour des ouvrages chers à produire si l’on compare le coût du tri et de la réintégration à celui de la réimpression, il est plus intéressant pour un éditeur de réintégrer un ouvrage dans le circuit de diffusion que de l’envoyer au pilon ». (voir l’entretien)

Réintégration ou pilon, on a vite fait de choisir... (...)

« Le coût du pilon, pour un éditeur, est nul : l’ouvrage part directement, suivant le contrat passé, sans frais. En revanche, pour un titre qui coûterait moins d’un euro de fabrication, les coûts pour la réintégration sont autour de 67 à 70 centimes, par livre », nous précise une maison.

Pourquoi cette charge ? Simple : lorsque les livres invendus reviennent à l’entrepôt du distributeur, ils passent sur un tapis roulant pour être scannés. Suivant le message qui en découle, soit le titre est envoyé au pilon pour une destruction et recyclage automatique, soit il est réintégré. Dans ce cas, c’est un être humain qui va évaluer la qualité du livre — et décider s’il peut effectivement réintégrer le stock.

« L’option de réintégration est chère, et on ne la sollicite que rarement. Mais nous sommes loin de la stratégie de groupes de luxe, pour qui la destruction des invendus s’inscrit dans une perspective de culture de rareté pour la marque », poursuit le patron de la maison. (...)

Une libraire parisienne a la réponse : « Il serait curieux qu’une maison se voie impérieusement contrainte de donner ce fameux stock, alors qu’il aurait fini recyclé. Parce qu’il faudrait trouver un organisme — plutôt qu’un autre ? –, à qui les donner ? Et dans ce cas, qu’en fera-t-on, et à qui cela profitera-t-il ? »

Sans même parler du coût que le transport des livres : qui en prendra la charge. Et cerise sur le gâteau : quid des droits d’auteur ? On imagine aisément la librairie monter au créneau pour défendre son commerce, soudainement victime d’une concurrence déloyale… menée par la revente d’ouvrages d’occasion. A qui profiterait le crime ? Amazon, entre autres, qui n’en demandait pas tant… (...)

L’économie de la destruction

L’idée louable d’empêcher les fabricants de détruire plutôt que de stocker va de pair avec l’éclosion ces dernières années des recycleries – elles-mêmes ne faisant que prolonger le travail d’organisme qu’Emmaüs et d’autres. Dans les propos du Premier ministre, que comprendre ?

Que selon les entreprises, jeter est plus commode, rapide et économique que de chercher des solutions de valorisations, ou de recyclage. La loi sur l’économie circulaire, en charge de modifier les comportements, serait plus encore concrétisée avec une mesure contraignante. (...)

Mais les professionnels du livre voient d’un œil sombre que les politiques tentent de leur apprendre leur métier : « Si on était contraint au don, alors ce serait le début d’une lente agonie pour les ventes de livres neufs. Et c’est tout de même notre cœur de métier », ricane un éditeur parisien. « Le règne de la solderie, qui même aujourd’hui bat de l’aile, a été remplacé par celui de la vente d’occasion. Mais on ne va tout de même pas alimenter ce qui pourrait devenir un véritable commerce concurrent !  »

L’édition, déjà en ordre de marche

Quant à l’idée que se développe l’impression à la demande, une spécialiste de la fabrication pointe : « Le problème est simple : si l’on s’aventure avec dans l’idée de produire des tirages courts, alors le prix unitaire de l’objet va augmenter. Et la rentabilité que cherchent les groupes, qui dans le même temps tirent les prix le plus possible, en prendra un coup sévère. »

En outre, de par la méthodologie aujourd’hui employée, l’édition « serait déjà un plutôt bon élève en matière de traitement des livres — appelez-les produits invendus, si c’est le terme du gouvernement. Nous recyclons et nous stockons… Nous ne détruisons pas pour le plaisir d’éliminer les stocks. »
(...)

Le ministère de la Culture, joint par ActuaLitté, n’a pas encore apporté de précisions sur l’inclusion de la filière à ce projet.
(...)

mise à jour 5 juin - 9 h :

Le ministère de la Culture a apporté une précision : « Nous sommes actuellement en train d’examiner le sujet, mais à notre connaissance les annonces ne concernent pas les filières dont les produits peuvent être recyclés. »