
La scène se déroule dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ephad) à Bry sur Marne. Face aux infirmières, face aux aides-soignantes qui lui parlent de la pénibilité de leur métier, de la dégradation continuelle de leurs conditions de travail, de leurs horaires à rallonge, du stress, etc, François Fillon écoute, l’air grave mais visiblement agacé par cette avalanche de récriminations. Tout ce bruit finit enfin par s’éteindre. Et le candidat, déposé là, en milieu hostile, dans le cadre de « l’émission politique » de France 2, explique alors, condescendant, que l’hôpital vit au dessus de ses moyens, que cela ne peut continuer, qu’il va falloir travailler plus et dépenser moins. Face au petit personnel de santé payé au SMIC, le châtelain de la Sarthe, si peu soucieux des deniers publics quand il s’agit de rémunérer sa famille, sort la calculette comme arme suprême. François Fillon, le plus endetté des candidats, le plus contraint par tout son réseau d’amis dont il est l’obligé, brandit la dette publique comme dernier argument, l’argument indépassable, celui qui ne peut souffrir aucune contestation. L’entrevue est terminée. Le monde du travail a bien compris qu’il se trouve confronté au mur de l’argent et que François Fillon est de l’autre côté du mur, dans un autre monde, dans un monde qui ne se préoccupe pas de la qualité des soins, du bien- être des malades et des personnels, mais de productivité, de « tarification à l’activité », d’équilibre des comptes. . . François Fillon vit dans le monde de l’argent-roi.
Et, dans cette campagne présidentielle qui chavire, nous sommes tous responsables de déficits publics insupportables, nous avons tous 30.000€ de dette publique au dessus de la tête, nous subissons tous la fermeture d’hôpitaux, de bureaux de poste, de perceptions, de gares, etc, dont nous ne percevons l’importance et la nécessité que lorsqu’ils disparaissent. Nous sommes bien tous confrontés collectivement au mur de l’argent et à un monde déshumanisé qui ne peut intégrer les revendications sociales et environnementales car elles ne font pas partie de son logiciel de lecture.
Evidemment, avec François Fillon, ce monde de l’argent ne dispose pas du meilleur porte-drapeau. Etre mis en examen sous la pression du cabinet noir de François Hollande ne suffira sans doute pas à redorer son blason. Celui qui se pose désormais en héros « balafré » d’une nouvelle croisade contre la gauche ne peut séduire que les membres de sa secte, que les militants de la droite extrême : les idéologues du néolibéralisme, les anti-communistes viscéraux, les catholiques intégristes, les religieux de l’austérité, les fanatiques du profit. Le monde des affaires se fait bien du souci : avec François Fillon, il a peu de chance de remporter l’élection.
Mais il a trouvé un candidat de remplacement plus présentable, plus sympathique, plus lisse, plus avenant. Quand François Fillon promet du sang et des larmes, Emmanuel Macron promet la lune capitaliste. Avec Macron, le libéralisme financier paraîtra plus souple, et le système risquera moins la rupture. Avec Macron, ce monde de l’argent roi, ce monde du profit, ce monde des milliardaires va pouvoir maintenir et accentuer sa domination ; il pourra continuer à rogner les droits sociaux, à privatiser les biens communs ; il le fera avec le doigté nécessaire, en concertation, avec les instruments de la loi El Khomi ; il va pouvoir continuer à diviser, à fragmenter le monde du travail, à le mettre en concurrence.
Macron offre à tout le monde la possibilité d’être un conquérant, c’est terriblement sexy ! Jean-Yves Le Drian vient de lui apporter son soutien, le complexe militaro-industriel, particulièrement puissant en France, place beaucoup d’espoir dans ce candidat qui semble avoir des idéaux particulièrement flous et malléables, il veut pouvoir continuer à vendre ses armes en toute quiétude dans les pays du golfe et ailleurs. Le monde des médias qui appartient aux mêmes milliardaires, au même monde, a commencé son travail de propagande et d’endoctrinement. Avec le jeune et fringant Macron, la victoire est possible.
Certes, mais dans cette campagne, la droite aura démontré qu’elle est prête à tout pour conquérir le pouvoir et trop d’hommes politiques se seront affranchis du contrat qui les lie à leur électorat. La haine et la confusion remplissent désormais l’espace public. La fracture sociale, dénoncée déjà, il ya plus de vingt ans, avec beaucoup de cynisme, par Jacques Chirac, est désormais béante et à vif. Emmanuel Macron peut gagner mais il règnera sur les décombres de la république et de la démocratie.