
Il était une énième fois l’histoire d’une soumission volontaire. L’histoire de la création par chacun d’une entité les dépassant tous. Il ne s’agit plus, cette fois, d’une crainte divine, d’un « Big Brother » s’affichant fièrement dans les rues ou encore d’un capital aliénant ceux qui le produisent. Ce Léviathan d’un genre nouveau se fait sobrement appeler « data », un sobriquet latin dépoussiéré par l’arrivée d’un numérique anglophone. Peut-être doit-on d’ailleurs lui préférer sa version française, « données », et son prolixe équivoque.
Donner ses données sans pouvoir les reprendre résonne comme un abandon de soi et un premier pas vers une identité parfaite entre l’Un et le tout, le réseau social. Subrepticement, le Léviathan 2.0 assoit son pouvoir, redéfinit le lien social, établit un index nouveau et s’exonère de ses dus face aux États. Est-il seulement besoin de l’illustrer ? Facebook jauge les amitiés, Twitter décide des informations mensongères, aux États-Unis, Cambridge Analytica brouille la souveraineté populaire en s’invitant dans les campagnes électorales tandis que le Danemark daigne nommer un ambassadeur auprès des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple). Mais les États aussi ont pris conscience des enjeux liés à la maitrise des données : révélations d’Edward Snowden sur la collecte d’informations par des organismes gouvernementaux américains d’informations, interférences des services secrets russes dans les élections américaines, mise en place d’un système de « crédit social » destiné à noter les citoyens chinois… Les données semblent désormais avoir quitté la simple fonction d’évaluation de l’efficacité d’une politique publique pour devenir des outils de pouvoir et d’influence, tant vis-à-vis des citoyens que dans les relations internationales… (...)