L’électricien public a annoncé des pertes encore plus gigantesques qu’anticipé : 17,9 milliards d’euros. Ce résultat marque l’aboutissement d’une politique assumée de spoliation publique, ruinant une entreprise indispensable à la planification énergétique et écologique.
C’est tout sauf une surprise. Depuis des mois, les personnels d’EDF avaient prévenu que les comptes du groupe public seraient catastrophiques. Et ils le sont (...)
Pour justifier cette descente aux enfers, le gouvernement comme la direction du groupe public mettent en avant l’accident industriel hors norme qu’a dû affronter l’électricien dans les pires circonstances : en pleine crise énergétique, 26 réacteurs nucléaires sur 56 (il n’y en a plus que 16 depuis le 1er novembre) se sont retrouvés à l’arrêt en raison de problèmes de corrosion sous contrainte.
Dans le même ordre d’idée, les barrages hydrauliques, autre grande source de production électrique du pays, n’ont pas pu répondre à la demande en raison d’une sécheresse historique. (...)
La direction place ces arrêts sous le signe de la fatalité. (...)
L’absence de stratégie de planification pour répondre à la transition énergétique des gouvernements successifs a placé EDF dans un étau. Le groupe s’est retrouvé piégé dans des discours incohérents, incompatibles avec le pilotage d’une activité s’appuyant sur des équipements industriels lourds. (...)
Faute d’alternatives, EDF est obligé d’exploiter les équipements existants et vieillissants, sous peine de plonger la France dans le noir. Le parc nucléaire, prévu pour fonctionner à l’origine pendant 40 ans, devrait passer à une exploitation de 60, voire 80 ans, selon la volonté du gouvernement. Tout cela impose un lourd programme de maintenance et de rénovation, de changement d’équipements lourds, qui se chiffre en dizaines de milliards d’euros. Dans les arrêts de 2022, il y a aussi ces réacteurs inscrits dans le cadre du programme du grand carénage afin d’en prolonger la durée de fonctionnement. Le parc ne devrait pas retrouver son plein fonctionnement au moins avant 2027, voire 2030. (...)
Quelle autre entreprise au monde se retrouve dans l’obligation de céder 43 % de sa production électrique à perte à ses concurrents avant de racheter de l’électricité et du gaz au prix fort pour répondre à ses propres besoins ? C’est ce qui est arrivé à EDF en 2022. (...)
Les actionnaires de TotalEnergies et d’Engie, premiers bénéficiaires de ce mécanisme délirant en France, peuvent se féliciter : l’électricien public a pris à sa charge une partie des risques de marché qu’ils auraient dû assumer et a garanti leurs profits. (...)
L’aventurisme sans fin de l’EPR
À ces dysfonctionnements structurels du marché, il convient d’ajouter l’aventure nucléaire du groupe avec l’EPR. (...)
la situation financière d’EDF augure mal de la suite : la construction des six EPR voulus par Emmanuel Macron. Avec un endettement de 64 milliards d’euros, EDF est incapable de porter un tel programme de construction de réacteurs dont le coût est largement sous-estimé (le gouvernement avance le chiffre de 55 milliards d’euros). Et ce n’est pas le démantèlement d’EDF, projeté par le gouvernement, qui pourrait permettre de résoudre l’équation : privé des ressources financières de ses filiales les plus rentables en cas de privatisation, EDF aurait encore plus de mal à faire face. Le groupe ne serait plus qu’un océan de pertes, une bad bank épongeant les désirs nucléaires présidentiels.
Faire les poches du livret A (...)
Détourner l’épargne des Français, qui contribue au financement du logement social, pour l’investir dans le nucléaire, n’est pourtant pas un acte neutre. (...)
Dans le même élan, le gouvernement songe aussi à adopter la méthode de financement choisie par le gouvernement britannique pour la construction du réacteur de Sidewell : faire payer à l’ensemble des consommateurs la construction des EPR avant qu’elle ne soit engagée, par un prélèvement sur leurs factures d’électricité. (...)
Alors que le bilan de la gestion d’EDF depuis des années est catastrophique, les principaux responsables de cet effondrement ne se considèrent toujours pas comptables de leurs choix et de leurs décisions. Au vu des enjeux climatiques et économiques, il est plus que temps que la nation se réapproprie la conduite de ce bien public essentiel.