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Echos des Lumières - Les enlèvements d’enfants ou la peur sur la ville
* Echos des Lumières est un nouveau projet animé par des doctorants en histoire moderne, destiné à explorer les relations entre l’actualité et le XVIIIe siècle.
Article mis en ligne le 9 avril 2019
dernière modification le 8 avril 2019

La semaine dernière, de sordides rumeurs d’enlèvements d’enfants ont circulé avec une impressionnante rapidité sur les réseaux sociaux. Au XVIIIe siècle, elles enflamment déjà la population...

Bien qu’elles aient été formellement démenties par les autorités, de telles rumeurs ont connu une recrudescence et ont visé en particulier des membres de la communauté Rom de Seine-Saint-Denis, dont certains ont été victimes de lynchage. Leur propagation aussi rapide tient à l’effet accélérateur des réseaux sociaux, et traduisent les angoisses contemporaines de la « camionnette blanche », exacerbées depuis les affaires Dutroux et Fourniret. Ces légendes urbaines sont pourtant loin d’être nouvelles et touchent même le cœur de l’État royal au XVIIIe siècle…

De mystérieuses disparitions

Durant la seconde moitié du XVIIe siècle, Paris est déjà le théâtre de rumeurs de disparitions mystérieuses d’enfants. Certains avancent d’obscures raisons magiques ou des crimes sordides, tandis que d’autres estiment que ces enfants ont été enlevés pour peupler la Louisiane et la vallée du Mississippi ! De telles hypothèses réapparaissent en décembre 1749 sous la plume de l’avocat parisien Barbier, racontant dans son Journal que plusieurs petites filles et petits garçons ont été arrêtés afin de peupler les colonies françaises en Amérique. Les rumeurs s’éclipsent quelques mois avant de réapparaître soudainement au début du mois de mai 1750, lorsque les arrestations arbitraires par les commis de la police commencent à se multiplier. B (...)

des échauffourées ponctuelles éclatent, mais finissent par se transformer en une véritable sédition, qui atteint son paroxysme les 22 et 23 mai.

La foule et l’arbitraire policier

Les « enlèvements de police » constituent un phénomène tout à fait fréquent au XVIIIe siècle, puisqu’ils permettent, entre autres, de purger la capitale des indésirables notoires, à l’image des mendiants. Ils ne relèvent pas de la même logique que les arrestations dans la mesure où ces enlèvements ne s’embarrassent pas du respect de la traditionnelle procédure pénale, et cristallisent toutes les critiques sur l’arbitraire policier. Au sein de la population, les réticences à l’égard des méthodes brutales et répressives de la police du Châtelet sont indéniables, et peuvent être palpables lors des vastes campagnes d’arrestation des mendiants.

Si le vendredi 22 mai les débordements sont tels que de malheureux passants sont accusés d’être des voleurs d’enfants dans les quartiers de Saint-Denis et Poissonnière, le lendemain, ils visent directement des agents du Lieutenant général de police, des archers et des cavaliers du guet. (...)

un bruit se répand progressivement : et si l’instigateur de ces enlèvements d’enfants n’était pas finalement le roi lui-même ? Les fausses rumeurs et les mauvais discours sur Louis XV, en particulier sur sa sexualité débauchée, sont monnaie courante. Pourtant, un cran est bel et bien franchi en 1750. Le monarque serait responsable des enlèvements d’enfants car, à l’image de l’ancien roi de Judée, Hérode, il prendrait des bains dans le sang des jeunes victimes pour se soigner de la lèpre. L’imaginaire médiéval des bains de sang bénéfiques pour la santé avait donc largement prospéré jusqu’au mitan du XVIIIe siècle. Si les historiens ne sont pas unanimes pour parler de « désacralisation » du pouvoir royal à partir de cette affaire, il est en revanche certain que les relations se sont fortement tendues entre le roi et ses sujets et, de façon plus générale, entre les Parisiens et les élites de la Cour. L’implication supposée du roi dans les enlèvements touche par ailleurs à l’essence du pouvoir monarchique : en se comportant comme un ogre dévorant, le souverain ne remplit plus son rôle de père nourricier et, surtout, rompt par-là le pacte qui le lie à son peuple.

Les conséquences pour la suite du siècle sont capitales. En effet, la Lieutenance générale de police doit désormais prendre toutes les précautions pour ne pas heurter la population, ce dont témoignent les circulaires promulguées après l’événement. (...)

Beaucoup d’éléments diffèrent entre les rumeurs d’enlèvements d’enfants d’aujourd’hui et celles d’hier. Alors que les premières visent davantage une minorité qui condense tous les fantasmes – et bien souvent les rejets –, les secondes impliquent le cœur même de l’État et, à travers lui, son appareil policier. Pourtant, comme le souligne l’historienne Arlette Farge à propos de 1750, elles disent quelque chose des émotions qui sous-tendent les émeutes et les lynchages : parce qu’il s’agit des enfants, dont l’importance s’avère de plus en plus fondamentale dans la société à partir du XVIIIe siècle, les émois qui saisissent la population ne sont qu’à la hauteur de son indignation.