
En Normandie, dans la Manche, une équipe de bénévoles a mis en place depuis deux ans un service itinérant d’« écoute active » des habitants. Chaque jour, hormis le week-end et les vacances scolaires, le Parentibus sillonne les routes de treize communes, et reçoit les personnes qui désirent se confier, confrontées à des difficultés parfois aggravées par l’isolement et le manque de services sociaux adaptés. Victime de son succès, l’association envisage le lancement d’un second bus. Reportage auprès d’une alternative au repli sur soi.
Les touristes ne s’aventurent que rarement à Saint-Sauveur Lendelin, au cœur du département de la Manche. L’auberge est l’un des derniers lieux de vie du village de 1 700 habitants. « Autrefois il existait des clubs de jeux de carte, quelques activités dans les bars, maintenant les gens préfèrent la télévision », note Karine, la propriétaire du lieu, qui fait aussi du portage de repas aux personnes âgées autour de la commune [1]. « Les anciens faisaient le tour des treize bars ! Ils discutaient avec les voisins des soucis, des bêtes, de la famille... Et puis le jour, il y avait le petit train qui permettait de faire les marchés », se rappelle Gilbert, dit Chabert, retraité. Aujourd’hui, seuls deux autres établissements font concurrence à l’Harmonie des Saisons. La gare est désaffectée depuis 1970.
C’est face à cet isolement, qui a peu à peu enfermé socialement les individus, qu’a été créée, en 2011, l’association Parentibus. Son projet phare : la mise en service d’un bus itinérant où familles et individus pourraient dialoguer et éventuellement, se confier. « L’isolement ou l’absence de mobilité déterminent ou aggravent parfois des situations sociales et familiales déjà fragiles, souligne Catherine de la Hougue, une ancienne juge pour enfants, véritable figure locale. A travers nos activités respectives, travailleurs sociaux, magistrats, parents, nous nous sommes rendus compte qu’il n’existait pas de lieu d’écoute et d’accueil pour les personnes, qu’elles soient en difficulté ou non. » (...)
« Les mots clefs de Parentibus sont la confiance, l’échange, l’écoute et la bienveillance » (...)
Coutances, d’où le bus a commencé à rayonner, est entrée en 2015 dans la cartographie des 108 communes pauvres de France [2]. Comme le rappelle une étude de l’Insee [3], si le taux de Bas-Normands vivant sous le seuil de pauvreté est légèrement inférieur à la moyenne nationale (13,9 % contre 14,1 % des Français en 2010), la région concentre un nombre élevé de travailleurs pauvres (9 % des personnes en emploi, contre seulement 7 % en France métropolitaine). Et cette pauvreté, rappelle l’étude, se combine à « une fragilité relative du tissu social dans une région comptant des proportions importantes d’intérimaires et d’actifs faiblement qualifiés, en particulier dans les secteurs industriel et agricole ».
De plus en plus de « passagers »
Les chiffres ne révèlent pas tout : « Ici, beaucoup de gens ne connaissent pas leurs droits, ou ils ont honte d’aller voir les services sociaux », remarque Catherine de la Hougue, pointant la problématique du « non-recours » [4] et de la méconnaissance de la pauvreté lourde en milieu rural, également soulignée par un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales en 2009. « La parole est libératrice, et comme nous n’avons pas de mandat institutionnel, notre écoute est d’autant plus libre que nous ne proposons ni formation, ni aide financière. Nous n’avons pas vocation à remplacer les services sociaux, nous les complétons. En somme, comme nous le disons souvent, nous ne servons à rien, sinon à écouter », déclare avec humour la fondatrice de Parentibus. (...)
Peu à peu, de nouvelles problématiques émergent. « Nous avons remarqué que la grand-parentalité pouvait être un souci, avec des retraités désemparés ou débordés mais qui n’osent pas dire non à leurs enfants », détaille Chloé. Agathe, institutrice retraitée évoque « d’autres soucis dont on ne parle jamais ». Quatre fois par semaine, le bus se gare sur une place de marché. « Une agricultrice est venue nous voir : elle était à bout de nerfs dans son exploitation familiale, et ne savait pas à qui s’adresser. » Ce vendredi matin, c’est Michèle, 75 ans, qui s’arrête devant le véhicule coloré, stationné entre la place du marché de Gouville-sur-Mer et la Poste. Énergique mais un peu abattue, Michèle vient pour aider « un monsieur de sa commune qui boit et qui n’arrive pas à obtenir les minimas sociaux ». (...)
Aujourd’hui, l’association réfléchit à mettre en place un créneau « libre », où les passagers pourraient solliciter le bus en dehors des permanences habituelles. (...)
Catherine est vigilante : « Nous ne nous substituons jamais à la justice ni ne prenons tout ce qui est entendu pour argent comptant. Notre rôle est d’écouter, uniquement d’écouter », martèle l’ancienne juge. « Dans certains cas, quand un danger est évident, nous expliquons les démarches et dirigeons les personnes vers les services adéquats, renchérit Michel. Ce qui se dit dans le bus reste dans le bus. Le lieu permet à la personne de faire une parenthèse. Lorsque quelqu’un, comme Nadia, ressort en nous disant qu’elle se sent mieux, plus sereine pour affronter tout ce qu’elle doit faire, alors nous avons gagné. »