
Obscurs experts (invités par Morandini), figures de l’extrême droite (Marine Le Pen, Robert Ménard) ou illustres éditorialistes (Ivan Rioufol, André Bercoff, Éric Zemmour, Caroline Fourest) et même présentateurs (Laurence Ferrari, Pascal Praud, Sonia Mabrouk), ils répandent sur les plateaux les thèses et les intox trumpistes sans aucune contradiction. Tout en se plaignant de médias français outrageusement anti-Trump.
« On craint que les résultats ne provoquent une flambée de violence », alerte Anne-Sophie Lapix en duplex de New York pour « le jour J de l’élection présidentielle américaine ». « Cette élection peut prendre des allures de guerre civile, renchérit Julian Bugier, présentateur de la soirée spéciale de France 2. C’est une hypothèse. » Très excitante. « Les résultats de l’élection pourraient-ils faire basculer le pays dans le chaos ? », interroge Anne-Sophie Lapix pour lancer un reportage dans une armurerie de Virginie. « Ces élections sont à risque, avertit Julien Pasquet sur CNews. On a vu Washington qui se barricade. » « Oui, confirme un envoyé spécial, et je voulais vous montrer ces palissades dressées devant la Maison-Blanche. » « Je voulais vous montrer ces barrières de protection installées autour de la Maison-Blanche, répète Maryse Burgot sur France 2. Parce que les autorités craignent les débordements. » Quand on vous dit que ça va péter. (...)
Sur BFMTV, Maxime Switek propose : « Je voudrais qu’on revoie ces images que nous avons beaucoup vues. » On ne s’en lasse pas. « Washington barricadée, tous ces magasins qui ont mis des plaques de bois pour protéger leur devanture. » Une invitée, la chercheuse Céline Belin, relativise les risques de violence. « On dit que Washington s’est barricadée, que l’Amérique s’apprête à vivre des heures sombres, insiste Julian Bugier sur France 2. Vous y croyez ? » « Faut pas exagérer, tempère Anne Sinclair. Y a des plaques de bois devant les vitrines comme à chaque fois qu’on craint des manifestations. » Peu importe, Julian Bugier y revient : « On a évoqué le risque de violences et de heurts, on en parle beaucoup… » En effet. Le lendemain matin, sur BFMTV, Ulysse Gosset redoute : « Tous les scénarios, et les plus apocalyptiques, sont possibles. » Le présentateur suggère : « Ça plaît aux Américains. » Et aux journalistes français.
Revenons au JT de France 2 le soir du vote. « Nous sommes devant la Trump Tower avec vous, Agnès Vahramian, rapporte Anne-Sophie Lapix. Ça fait plus de trois ans que vous êtes correspondante à Washington. » Depuis qu’elle a quitté la rédaction en chef du 20 heures en même temps que David Pujadas sa présentation. Elle fait l’article pour Donald Trump, « un personnage hors norme. Il a du talent, il a une énergie extraordinaire. Il ne faudrait pas le caricaturer ». Dire qu’il est raciste ou sexiste. « On peut très bien trouver que sa politique ne nous convient pas mais il a su poser un débat. » Un débat de haute tenue. (...)
Sur France 2, Anne-Sophie Lapix interroge Marc Levy, comme à chaque présidentielle américaine. L’écrivain évoque l’épidémie de Covid. « Sur Manhattan, on est à 50 nouveaux cas par jour. » La présentatrice le sollicite sur le mouvement Black Lives Matter : « Vous étiez là au mois de juin quand il y a eu ces émeutes provoquées par la mort de George Floyd. » Des « émeutes » ou une révolte ? « Est-ce que vous avez été surpris par cette explosion de violence ? » Maudits Noirs toujours prêts à faire exploser la violence. En plateau, Julian Bugier apporte « une petite précision, la langue de Marc Levy a fourché : le nombre de morts du Covid à New York est de 640 par jour ». C’est chaud. Mais la langue de Marc Lévy n’a pas fourché : il parlait seulement du quartier de Manhattan. (...)
Le lendemain, mercredi matin, la présentatrice de BFMTV trépigne : « On attend l’intervention de Donald Trump. Il y a un peu plus d’une heure, Biden a montré les muscles, on se dit que Trump va bomber le torse encore plus fort. » C’est du catch ? « Donald Trump vient de s’exprimer, reprend Romain Desarbres sur CNews. Il revendique la victoire, il parle de “fraude massive”. Tout de suite, Laurence Ferrari qui reçoit ce matin Marine Le Pen. » (...)
« Robert Ménard est avec nous », annonce Pascal Praud une heure plus tard. Ça change de Marine Le Pen. « J’aurais voté pour Trump, faute de mieux, confie le maire de Béziers. (...)
« Les manifestations de Black Lives Matter, ç’a joué un véritable rôle dans l’élection, analyse l’éditorialiste. Les principaux pillages ont eu lieu dans des villes gouvernées par des démocrates. » Coïncidence, c’est aussi ce que dit Donald Trump. « Les gens se servaient dans les magasins, on a laissé piller, tabasser pendant des jours et des jours. » Exprès pour embêter Trump. « Ç’a joué un rôle pour beaucoup de gens parce qu’ils ont besoin de sécurité. » Et d’une police qui tue les Noirs. « Quand ils voient que c’est open bar, allez-y les gars… J’ai de la famille à Portland qui vote démocrate. Quand ils ont vu ce qui s’est passé, ils étaient tétanisés. » Ils ont voté Trump ?
« Ça veut dire que ce mouvement d’émancipation des Noirs américains aurait été contre-productif pour Biden », déduit Éric Brunet. « Oui, agrée Guillaume Debré. Y a une petite partie de la classe moyenne latino et black qui ne s’est pas reconnue dans cette chienlit, comme dirait de Gaulle. » Ces Noirs qui réclament à ne pas être tirés comme des lapins sont vraiment des factieux. (...)
« Joe Biden est sénile ! », braille André Bercoff, 79 ans. Il beugle contre Julia Grégoire, représentante du Parti démocrate, qui pointe la gestion du Covid par Trump : « Vous dites n’importe quoi ! Renseignez-vous sur ce qu’est la médecine. » Faites comme moi, fiez-vous à Didier Raoult. « Vous avez une position presque stalinienne. » Chacun ses fantasmes. (...)
Sur CNews, Jean-Marc Morandini reçoit « Philippe Karsenty, porte-parole des républicains en France » et « maître Pierre Hourcade, avocat aux barreaux de Paris et de New York, qui défend les républicains, on l’a bien compris ». A nouveau l’assurance d’un débat équilibré, sans avoir besoin de préciser que Philippe Karsenty est aussi élu de Neuilly, que c’est un complotiste ayant prétendu que l’incendie de Notre-Dame n’était pas accidentel, au point que Fox News, la chaîne trumpiste, a dû couper son témoignage. (...)
« Pour l’instant, y a pas d’émeutes, menace Philippe Karsenty. Mais que Trump gagne l’élection en nombre de grands électeurs mais pas en nombre de voix fait craindre aux Américains des émeutes. » Aux Américains trumpistes. « Qui a cassé ces dernières semaines ? Les anti-Trump, les antifas et les Black Lives Matter. Y a pas eu de casse du côté de la droite. » Seulement deux militants de Black Lives Matter tués au fusil d’assaut par un suprémaciste blanc le 24 août à Kenosha, après quoi Le Monde titrait « Les Etats-Unis paralysés par la violence d’extrême droite. » « C’est ça qu’on craint, on sait que la gauche radicale va sortir. » Pour exterminer les trumpistes à l’arme automatique. Comme un téléspectateur se désole que Trump ait encore des chances de l’emporter, Pierre Hourcade réplique : « Y a pas de chômage, vous pouvez trouver du travail quand vous voulez… Qu’est-ce qui vous déplaît chez Trump ? » Il est tellement parfait. (...)
David Pujadas enchaîne : « On accueille Caroline Fourest. Vous m’avez dit : “La gauche doit faire son examen de conscience.” » Comme les universitaires dénoncés par Jean-Michel Blanquer. « Car l’Amérique de Trump a fait mieux que résister. » Selon l’invitée, les gens votent pour lui notamment « parce que, sur la question de la sécurité, il arrive à les rassurer, beaucoup plus que la gauche ». Attention, l’essayiste ne parle pas de l’insécurité provoquant chaque année des milliers de morts par armes à feu. « La responsabilité de la gauche américaine est immense, elle n’a pas de discours sur ces sujets, aucun discours sur le terrorisme. » Le sujet de Caroline Fourest, c’est le terrorisme islamiste, que les démocrates auraient dû placer au cœur de leur campagne. « Elle n’a pas non plus un discours sur la revalorisation du salaire horaire. » Biden a seulement promis de doubler le salaire minimum… Mais Caroline Fourest semble aussi friande de fake news que les trumpistes. « Elle n’a qu’une collection de discours clientélistes, minorité par minorité, communauté par communauté. C’est le pire des apports de la gauche identitaire. » Islamo-gauchiste. Heureusement que l’extrême droite, elle, n’est pas identitaire. (...)
« Moi, j’ai vécu un renversement absolu sur ça, témoigne Caroline Fourest. Il y a vingt ans, on avait une gauche qui ne parlait que du grand soir, que de la question des inégalités économiques et sociales et qui ne voulait pas entendre parler des évolutions sociétales, ni du féminisme, ni du droit des homosexuels. Tout ça était secondaire, bourgeois, il ne fallait pas en parler. » Belle falsification de l’histoire : il y a vingt ans, c’était le gouvernement Jospin, celui qui faisait voter les lois sur la parité et instaurait le Pacs… Décidément, Caroline Fourest est tellement de gauche qu’elle partage avec les trumpistes le goût des faits alternatifs. (...)
Sur CNews, Éric Zemmour admet que « Trump a fait une moins bonne campagne qu’en 2016. On voit qu’il n’y a pas Steve Bannon à la manœuvre ». Indispensable et génial Steve Bannon. Et revoici la guerre civile : « Il y a deux Amériques qui peuvent très bien s’affronter demain. Trump n’est pas la cause de cette situation. » Au contraire, sa légendaire modération permet de l’apaiser. Les coupables sont ailleurs : « C’est un phénomène au long cours qui vient de la gauche américaine des années 60, et qui a miné tout l’équilibre politique national, social, culturel américain. » La gauche identitaire dénoncée par Caroline Fourest – curieusement, l’essayiste de gauche et l’éditorialiste d’extrême droite partagent la même analyse. (...)