
À l’approche des élections municipales, un collectif de personnalités et de militants invite élus, candidats et citoyens à imaginer, dans leurs territoires, des politiques de la rencontre. Une réinvention, ambitieuse et nécessaire, permettant de repenser notre rapport au territoire et de construire des liens de solidarité par-delà l’Occident, l’humain et le visible.
Face aux scénarios ténébreux à venir et aux perspectives d’effondrement, nous avons besoin, à nouveau, de nous sentir appartenir à quelques communs qui ne sont la propriété de personne mais qui nourrissent l’âme d’une lumière nouvelle. Nous avons besoin de chants, d’animaux et de plantes dans nos vies. Nous avons besoin de récits collectifs qui transcendent les générations et prient la pluie de revenir sur des terres cendrées. Nous avons besoin d’une nouvelle résilience, qui se tricote de nos liens avec les autres êtres vivants et irrigue nos réseaux locaux.
Les travaux de la philosophe Corine Pelluchon aide à comprendre les liens qui transcendent nos parcours de vie. Vivre, c’est nécessairement « vivre de » différentes ressources et projets qui finiront par traduire une trajectoire singulière. Vivre demande également de « vivre avec » la pluralité des êtres qui coexistent avec nous dans un environnement donné : nos gestes et nos actes conditionnent par effet de miroir leurs conditions de vie, pour le meilleur comme pour le pire.
Il y a un certain sentiment de vertige et d’humilité à penser qu’une partie de nos vies ne nous appartient pas. Nous mettons nos pas dans ceux d’une longue série de générations, de penseurs et d’acteurs qui, avant nous, ont dessiné des chemins de crête, construit des villages, célébré sur les places publiques des évènements enracinés dans l’histoire de leur territoire. (...)
« Vivre le territoire », c’est donc enfin « vivre pour » ces esprits qui nous ont précédés, et pour celles et ceux qui cultiveront la terre une fois notre chemin terminé.
Construire une politique de la rencontre, faire vivre un monde de relations
Faire danser les pluralités de la vie en une seule et même ronde invite à penser l’action politique de manière radicalement différente. Les hommes et les femmes politiques pourront-ils un jour mettre leurs égos de côté pour penser enfin la relation à l’échelle de l’expérience partagée ?
L’anthropologue Pierre Clastres martelait déjà à la tribune qu’un bon leader n’est jamais patron ni décisionnaire. Il est un agent de liens, un ambassadeur de diversités, un messager de mondes et d’interfaces relationnels. L’échelon local permet un tel déplacement de valeurs. En prenant en compte leur singularité et leurs enjeux, à toutes les échelles, les territoires peuvent devenir le théâtre de l’une des seules politiques systémiques que la pensée est en mesure d’offrir : une politique de la rencontre. (...)
La rencontre est un jardin partagé, des spectacles vivants dans les rues, une caravane de saveurs, un nomade venu de loin pour partager ses mains. La rencontre, c’est aussi l’entreprise multinationale qui arrête de dévorer les ressources d’un monde aux limites finies pour innover et entreprendre différemment. Ce sont les amérindiens d’Amazonie qui acquièrent enfin la place qu’ils méritent dans les modèles sociaux des terres de Guyane. Ce sont les humains qui partagent espaces et ressources avec le loup et l’ours. C’est le rural qui réclame justice à l’urbain, les antilles à la métropole ; les Sud aux Nord, les dominés aux dominants.
La rencontre, c’est une invitation à oser, à lire, à écouter, prendre le temps de comprendre l’autre pour ce qu’il est et non pour ce qu’on voudrait qu’il soit. (...)
Nous pouvons aussi être rattrapés par des tentations au repli sur soi. Le sur-individualisme est un démon. Il retoque sans cesse à la porte lorsqu’une amitié ou un amour vient à se défaire, lorsqu’une une difficulté professionnelle et personnelle vient rompre une trajectoire qu’on imaginait déjà tracée.
La rencontre, c’est également accorder de la place à l’autre, humain comme non-humain. Il est encore plus difficile de s’ouvrir à un dialogue juste et solidaire avec le non-humain, ce grand impensé qu’il devient urgent de redécouvrir pour son agentivité et son droit, lui aussi, à fabriquer des mondes...
Finalement, la rencontre est une méthode pour donner à chaque citoyen la capacité de s’approprier l’espace public, de participer aux décisions collectives, de faire du territoire autant un droit d’usage qu’un devoir de relation. (...)
Cultiver cette écologie relationnelle que nous appelons de nos vœux nous apparaît pourtant comme la seule voie pour allier cause sociale et environnementale en un horizon commun et partagé. C’est la promesse universelle de cultiver, dans les rues de nos territoires, les symboles de l’altérité.