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Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?
par Robin Guilloux lundi 6 juin 2016
Article mis en ligne le 9 juin 2016
dernière modification le 6 juin 2016

"Qu’est-ce que les Lumières ? La sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement (pouvoir de penser) sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable, puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui.

Sapere aude ! (Ose penser) Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières.

La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les a affranchi depuis longtemps d’une (de toute) direction étrangère, reste cependant volontiers, leur vie durant, mineurs, et qu’il soit facile à d’autres de se poser en tuteur des premiers. Il est si aisé d’être mineur ! Si j’ai un livre qui me tient lieu d’entendement, un directeur qui me tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., je n’ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n’ai pas besoin de penser pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes (y compris le sexe faible tout entier) tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c’est une chose pénible, c’est ce à quoi s’emploient fort bien les tuteurs qui très aimablement (par bonté) ont pris sur eux d’exercer une haute direction sur l’humanité. Après avoir rendu bien sot leur bétail et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n’aient pas la permission d’oser faire le moindre pas, hors du parc ou ils les ont enfermé. Ils leur montrent les dangers qui les menace, si elles essayent de s’aventurer seules au dehors. Or, ce danger n’est vraiment pas si grand, car elles apprendraient bien enfin, après quelques chutes, à marcher ; mais un accident de cette sorte rend néanmoins timide, et la frayeur qui en résulte, détourne ordinairement d’en refaire l’essai. (...)

Aussi un public ne peut-il parvenir que lentement aux lumières. Une révolution peut bien entraîner une chute du despotisme personnel et de l’oppression intéressée ou ambitieuse, (cupide et autoritaire) mais jamais une vraie réforme de la méthode de penser ; tout au contraire, de nouveaux préjugés surgiront qui serviront, aussi bien que les anciens de lisière à la grande masse privée de pensée..." (...)

Cette période que l’on appelle "le siècle des Lumières" se caractérise par un désir de progrès dans tous les domaines : politique : remise en question de la monarchie absolue de droit divin, religieuse : critique de la superstition et du fanatisme, culturelle : intérêt renouvelé pour les sciences et les techiques et social : déclin de l’aristocratie, essor de la bourgeoisie.

Le "programme" des Lumières pourrait se résumer ainsi : Lutter contre l’ignorance en diffusant largement le savoir ; augmenter les richesses en développant l’agriculture, l’industrie et les arts ; substituer la raison à la superstition ; assurer l’autonomie de l’éthique par rapport à la religion ; rendre l’idée de Dieu indépendante de toute religion particulière ; refuser de se résigner aux prétendus décrets de la Providence (cf. Candide de Voltaire).

Le texte de Kant reprend une partie de ce programme (...) Pour Kant, ce n’est pas la capacité de penser qui est en cause (l’infirmité de la raison), mais le courage de s’en servir. (...)

Kant, comme Etienne de la Boétie, montre que la servitude n’est pas seulement subie par les hommes (au sens générique du terme), mais qu’elle est volontaire et qu’elle ne durerait pas si longtemps si les hommes n’y consentaient point. (...)

Kant insiste ici sur l’importance de l’expérience personnelle : personne ne peut ni penser, ni marcher à notre place. La liberté a un prix et personne ne peut en exonérer autrui. Nous devons donc surmonter la peur de penser par nous-mêmes et ne pas nous laisser décourager par les "chutes". La frayeur qui en résulte ne doit pas nous détourner d’en refaire l’essai. (...)

Les causes internes de la servitude : la peur, l’habitude, le conformisme... se conjuguent pour Kant, comme pour Platon, avec des causes externes les institutions et les préceptes, les causes externes de la servitude humaine renforçant les causes internes (on parlerait aujourd’hui de "feed back"). (...)