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Mediapart
En Amazonie, Lula chasse les orpailleurs et tente de faire revenir l’État
#Amazonie #orpaillage #Lula #yanomami
Article mis en ligne le 10 avril 2023
dernière modification le 9 avril 2023

Abandonné durant tout le mandat de Jair Bolsonaro, le peuple indigène des Yanomami est en situation d’urgence sanitaire, conséquence de l’invasion de son territoire par des milliers de chercheurs d’or clandestins. Revenu au pouvoir en janvier, le président brésilien déploie des moyens massifs et tente de marquer sa différence.

(...) le 21 janvier, un Lula à peine intronisé se rend dans l’État du Roraima et promet de mettre fin à l’orpaillage illégal sur les terres autochtones. 20 000 orpailleurs se trouvent alors sur ce territoire habité par 30 000 Yanomami et Yek’wana.

Face aux caméras, leur drame est exposé sans filtre : les images d’enfants aux corps décharnés, tourmentés par la faim et les maladies, envahissent les écrans et choquent le Brésil. L’an passé, une centaine d’enfants de moins de 5 ans sont décédés dans le territoire, où le taux de mortalité infantile est dix fois supérieur à celui du reste du pays.

Avec son cortège de pollution, drogues et violences sexuelles, la présence des orpailleurs déstructure des communautés entières. Après quatre ans de dénonciations incessantes, Mauricio Yek’wana, de l’association Hutukara, se sent en partie soulagé. « Enfin, le gouvernement a ouvert les yeux. Depuis le début de l’année, on ne gesticule plus en vain. » (...)

D’immenses moyens sont désormais déployés, tandis qu’une enquête pour génocide visant notamment des membres du gouvernement sortant est lancée. Toute une palanquée d’institutions est mobilisée : ministère de l’environnement, Ibama, police fédérale, Funai (organisme chargé de la protection des autochtones) et forces armées…

« Grâce à cette coopération, nos actions sont assez efficaces pour le moment, estime Diego Bueno, numéro deux de l’Ibama dans l’État. On détruit leurs infrastructures sur zone, mais nous travaillons aussi à étrangler leurs routes d’approvisionnement. En même temps qu’on bloque la logistique terrestre hors du TI, en contrôlant les camions qui alimentent les ports et aéroports clandestins, on s’attaque aux routes fluviales et aériennes qui pénètrent au cœur du territoire. »

L’espace aérien au-dessus de ce territoire enclavé a ainsi été fermé et les avions de chasse sont autorisés à abattre les contrevenants. Jusqu’à présent, les coucous du garimpo, l’orpaillage clandestin, le survolaient en toute impunité. (...)

Lula semble en tout cas prêt à mettre les moyens car, pour lui, l’opération est à la fois une promesse de campagne, une question symbolique et une opportunité diplomatique. Après quatre ans d’un gouvernement promouvant l’exploitation sans limites de l’Amazonie, il veut signer le retour de l’État dans cette région abandonnée aux intérêts de l’économie de la destruction. (...)

Deux mois depuis le début de l’opération, les premiers résultats se font sentir, témoigne Mauricio. Par avion pour les plus fortunés, en bateau pour les plus chanceux et à pied pour les plus désespérés, « nombre d’orpailleurs ont quitté notre territoire. Le gouvernement encourage les sorties spontanées, avec des couloirs aériens ouverts jusqu’au 6 avril, date butoir pour les derniers volontaires au départ ».

Impossible d’estimer la quantité exacte d’orpailleurs restants, précise toutefois l’Ibama. Dans la région du fleuve Uraricoera, où le câble a été installé, les orpailleurs semblent bien moins nombreux, mais ailleurs sur le territoire, au moins 94 nouvelles mines ou sites en expansion ont été recensés depuis le 20 février. Moins promptes à fuir qu’à tirer parti de la moindre brèche, des organisations qui financent l’orpaillage profiteraient de ces couloirs aériens pour continuer d’approvisionner leurs sites. (...)

« Une poudrière prête à exploser »

Et puis, la pression des autorités ne décourage pas tous les orpailleurs. Roberto*, interrogé en septembre par Mediapart, se trouvait dans une exploitation début février. « Il y a eu une opération mais j’ai pu me cacher et ça n’a pas changé grand-chose. » Si une menace s’approche, l’alerte est donnée par radio ou par Internet, largement répandu sur place, et tous se réfugient en forêt, non sans avoir caché les moteurs et les réserves d’or. (...)

Lula doit donc s’attendre à une mobilisation politique pour limiter la portée de l’opération en cours, estime Frances Rodrigues. « Ils ont par exemple noyauté la commission sénatoriale chargée d’accompagner la crise yanomami. C’est comme mettre des renards pour surveiller un poulailler. » (...)

Trois sénateurs sur les cinq nommés, dont le président, sont du Roraima et partisans de l’exploitation minière en terres autochtones. Sous pression de la société civile, le quorum de la commission a toutefois été amplifié en mars, pour rétablir un minimum d’équilibre. (...)

Après un mandat entier marqué par une politique de démantèlement incessante, toutes les institutions liées à l’environnement et aux autochtones doivent se restructurer pour retrouver leur efficacité à l’échelle nationale. Reste à savoir si l’État brésilien a les moyens de généraliser une telle mobilisation à d’autres territoires sous pression en Amazonie. (...)

En plus de poursuivre ceux qui financent les mines illégales, un nouveau modèle de développement pour le Roraima doit impérativement être mis en avant. (...)