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Mediapart
En Arizona, la « guerre de l’eau » fait ses premières victimes
Article mis en ligne le 3 janvier 2022

La sécheresse dans le Sud-Ouest américain, désertique, n’est pas nouvelle. Mais elle atteint des niveaux inégalés. Sur place, l’eau commence à manquer. Premiers perdants : les plus vulnérables, à l’instar des tribus autochtones.

Sur la route qui mène à la réserve hopi, sur les hauts plateaux du nord de l’Arizona, en cette fin novembre, des chèvres broutent sous le soleil d’automne. L’image paraît idyllique, à un détail près. Il n’y a pas d’herbe. Les chèvres des Hopis, une tribu amérindienne, semblent manger du sable.

Comme partout dans le Sud-Ouest américain, les autochtones et leurs troupeaux subissent depuis deux décennies une sécheresse quasi sans équivalent. Mais le phénomène a récemment pris une tournure alarmante.

Le lac Mead, plus grand réservoir des États-Unis, qui fournit en eau les Hopis et 40 millions d’habitants de la région répartis sur plusieurs États, apparaît à son niveau le plus bas, à 34 % seulement de sa capacité. Autrement dit, il n’y a plus assez d’eau pour tout le monde. (...)

Les causes d’une telle crise sont bien connues. Dans la presse, les spécialistes pointent le réchauffement climatique : la hausse des températures, la baisse des précipitations, l’inconsistance du manteau neigeux des Rocheuses, mais aussi l’évaporation… Combinés, ces facteurs ont fini par vider le réservoir. (...)

Face à l’urgence, les autorités fédérales n’ont pas eu d’autre choix. Pour la première fois, elles ont décrété en août 2021 une pénurie d’eau dans la région. En Arizona, l’approvisionnement provenant du lac Mead sera réduit de 20 % en 2022. En théorie, la mesure n’aurait pas dû avoir de conséquences sur la consommation des villes ou des tribus indigènes, épargnées dans ce premier plan de contingence. En réalité, les Hopis et leurs voisins Navajos sont déjà très affectés. (...)

Il y a bien sûr les conséquences visibles du manque d’eau pour les tribus, les plantes qui meurent, les arbres qui disparaissent, les animaux qui décèdent, mais ce qui frappe d’abord, c’est la conscience qu’ont les Hopis et les Navajos du risque de leur propre disparition. « J’ai 64 ans et je n’ai jamais vu ça », résume, dans son bureau, le vice-président des Hopis, Clark Tenakhongva.

Un discours très différent de l’effervescence observée un peu plus au sud, à Phoenix, capitale de l’Arizona, où les constructions poussent comme des champignons. Ces dernières années, Phoenix a connu la croissance la plus rapide parmi les plus grandes villes américaines, encouragée, entre autres, par l’arrivée d’entreprises de la tech. En dix ans, entre 2010 et 2020, la ville est passée de 1,4 à 1,6 million d’habitants. Tous, anciens et nouveaux, dépendent du lac Mead pour 40 % de leur consommation.
Parcours de golf et piscines (...)

Il y a bien sûr les conséquences visibles du manque d’eau pour les tribus, les plantes qui meurent, les arbres qui disparaissent, les animaux qui décèdent, mais ce qui frappe d’abord, c’est la conscience qu’ont les Hopis et les Navajos du risque de leur propre disparition. « J’ai 64 ans et je n’ai jamais vu ça », résume, dans son bureau, le vice-président des Hopis, Clark Tenakhongva.

Un discours très différent de l’effervescence observée un peu plus au sud, à Phoenix, capitale de l’Arizona, où les constructions poussent comme des champignons. Ces dernières années, Phoenix a connu la croissance la plus rapide parmi les plus grandes villes américaines, encouragée, entre autres, par l’arrivée d’entreprises de la tech. En dix ans, entre 2010 et 2020, la ville est passée de 1,4 à 1,6 million d’habitants. Tous, anciens et nouveaux, dépendent du lac Mead pour 40 % de leur consommation.
Parcours de golf et piscines (...)

Le contraste entre Phoenix et les réserves autochtones est saisissant. D’un côté, une forme de déni, d’insouciance plane en ville, malgré un modèle de croissance qui, à long terme, n’est pas viable. De l’autre, dans les réserves indigènes, les cahiers de doléances se remplissent. Chez les Hopis, la crise a culminé à l’été 2021. (...)

Avec 30 000 dollars de revenus par an, moitié moins que la moyenne en Arizona, les Hopis vivent essentiellement des terres qu’ils cultivent et de leurs animaux, leur seul gagne-pain. Sur place, ces restrictions ont par conséquent divisé. Les éleveurs s’y sont fermement opposés. Il y a eu des tensions jusqu’à ce que les restrictions soient levées.

À l’avenir, les éleveurs de la tribu seront toutefois confrontés à un choix cornélien. « Nous, les Hopis, nous sommes censés être les gardiens de la Terre. Est-ce que nous allons privilégier l’argent ? », résume le vice-président Clark Tenakhongva, éleveur lui-même.

Des droits régulièrement bafoués (...)

Avec la sécheresse, cependant, les plantes essentielles aux rites des Navajos ont commencé à disparaître, le tabac des montagnes ou encore le thé bu lors des cérémonies pour purifier le corps.
Quant aux chevaux sauvages de la réserve, quelques milliers, ils n’ont pour certains pas survécu. (...)

La situation des Navajos ressemble beaucoup à celles des Hopis, à la différence près que les terres navajos, aussi grandes que la Géorgie, encerclent celles de leur petit voisin. Même si les deux tribus ont les mêmes ancêtres, les Anasazi, arrivés du nord du continent au cours du XVe siècle, les Hopis et les Navajos se retrouvent aujourd’hui en conflit. Les premiers accusent les seconds, devant les tribunaux, de ne pas partager l’eau.

La méga-sécheresse a ainsi d’ores et déjà mis en concurrence les plus vulnérables. (...)

Roland Tso, le responsable navajo, regrette cette « compétition ». D’autant que la population navajo (400 000 personnes) n’a cessé de s’agrandir. Les Navajos aussi auront besoin de plus d’eau.

Jusqu’ici, les familles ont survécu comme elles ont pu, certaines en ayant recours à des moulins à vent artisanaux reliés à des sources d’eau non autorisées, confie Roland Tso. Au risque de tomber malades. L’exploitation d’uranium par une grande entreprise américaine a de fait contaminé, par endroit, l’eau de la réserve. (...)

Le plan d’infrastructures du président Biden devrait néanmoins permettre de résoudre une partie des problèmes. Quelque 2,6 milliards de dollars de financement doivent être alloués à plus de 1 500 projets visant à réparer l’assainissement ou les carences en eau des tribus autochtones, tout spécialement celles du Sud-Ouest.

L’ONG DigDeep s’en félicite. Ses membres, qui pour certains ont grandi sans eau potable, rappellent que l’accès à l’eau est un droit fondamental des tribus, reconnu dès 1908 dans une décision rendue par la Cour suprême, lors de l’affaire « Winters vs United States ». « Mais depuis, ces droits ont été régulièrement bafoués », regrette l’association, qui alimente en eau les Navajos dans le besoin.

Le département de l’intérieur, à Washington, chargé de l’exploitation des ressources naturelles, a néanmoins d’ores et déjà prévenu que des « actions supplémentaires » seraient « probablement nécessaires dans le futur très proche ». Ce qui signifie que de nouvelles restrictions doivent être annoncées. D’autres guerres vont alors commencer. Entre l’Arizona et ses voisins, la Californie à l’ouest, le Nevada au nord et le Mexique au sud. Tous dépendent du lac Mead…