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La Rotative
En Australie, l’apocalypse alimentée par la course aux profits
Article mis en ligne le 8 janvier 2020

Depuis plusieurs semaines, des incendies dévastateurs ravagent l’Australie. Nous reproduisons ci-dessous l’analyse publiée par le site australien Redflag, qui pointe du doigt la responsabilité des industries fossiles et de la classe politique australiennes

Certains pompiers signalent des flammes de 150 mètres de haut. Relisez ça, lentement. Des flammes de 150 mètres de haut. Plus hautes qu’un immeuble de 40 étages.

C’est la nouvelle norme estivale en Australie. Des flammes gigantesques et des humains terrifiés, blottis sur la plage dans la nuit noire ou la lueur orange du jour. Désorganisées, paniquées, des milliers de personnes sont forcées de fuir. Des villes et des villages ont été enveloppés pendant des jours, des semaines et maintenant des mois dans une brume de fumée qui va de l’irritant au toxique jusqu’au mortel. Une zone incendiée dont la dimension dépasse largement celle des terres touchées par les incendies d’Amazonie et de Californie.

Des douzaines de personnes sont mortes ou portées disparues. Et ce n’est que le début. (...)

Le journal The Age de Melbourne rend compte de l’évacuation de Corryong, dans le nord-est du Victoria, à la veille du Nouvel An : « Tous ceux qui voulaient se joindre au convoi devaient avoir suffisamment de carburant pour se rendre à Tallangatta, à environ 85 kilomètres de là, et inscrire leur nom sur une liste. La liste serait pour le médecin légiste au cas où les choses se passeraient mal. » (...)

On voit les pompiers se débrouiller avec de pathétiques masques de papier, tandis que le gouvernement offre chaque année 12 milliards de dollars aux entreprises du secteur des énergies fossiles (29 milliards de dollars si l’on compte les subventions indirectes).

On voit une armée qui peut mobiliser une force massive pour défendre le pétrole et l’impérialisme au Moyen-Orient, pour capturer les réfugiés de ces guerres et les parquer sur une prison insulaire [2] — mais qui est apparemment incapable de mettre en sécurité une population civile à la hauteur de l’urgence.

On voit une élite politique et économique qui ne peut pas s’arracher aux industries qui ont créé ce désastre. (...)

La classe dirigeante australienne est l’une des franges les plus accros au carbone d’une élite mondiale qui a toujours valorisé le pouvoir et le profit au détriment de notre planète et de nos vies.

On voit l’expression politique de ces intérêts économiques : une aile de l’establishment politique (les libéraux et les nationalistes) refuse d’admettre que cette catastrophe a quelque chose à voir avec le changement climatique. L’autre aile de l’establishment politique (les travaillistes et certains libéraux « dissidents ») pointe du doigt le changement climatique — tout en ouvrant de nouvelles étendues du pays aux industries fossiles et minières.

On voit les médias du groupe Murdoch multiplier les mensonges sur les masses combustibles. La vérité est que ces incendies sont la conséquence prévisible — en fait, la conséquence annoncée — des changements climatiques. (...)

L’économiste Ross Garnaut, qu’on ne peut pas qualifier d’extrémiste, note que le bassin versant du plus grand système fluvial du pays s’oriente vers la désertification et invite à faire des comparaisons avec l’effondrement des civilisations précédentes.

On voit des communautés laissées sans aucun soutien. L’une des rares communautés aborigènes à avoir bénéficié d’une couverture médiatique est celle de Lake Tyers, dans le Gippsland, où un petit réservoir sur un pick-up est le seul équipement de lutte contre les incendies dont dispose la communauté. Dans le même temps, le nouvel avion du premier ministre Scott Morrison aurait coûté 250 millions de dollars.

On voit les fêtes qui se succèdent à Kirribilli House [3] alors que le pays brûle et que Sydney étouffe. Dans sa recherche désespérée d’une personne prête à lui serrer la main, notre abruti de premier ministre shooté au charbon cherche refuge auprès de l’équipe nationale de cricket.

En d’autres termes : on voit le capitalisme australien dans toute sa gloire obscène perfusée au charbon.

Le pays va continuer à brûler

En cherchant des mots pour décrire la catastrophe, de nombreux survivants, pompiers et observateurs en trouvent un : apocalypse. (...)

Mais ce n’est pas la fin des temps. Ce n’est même pas la fin de l’été. Le pays va continuer à brûler.

Quiconque écoute la radio aura entendu pendant des mois des agriculteurs, des maires de petites villes, des camionneurs et toutes sortes de gens témoigner que de vastes étendues de terres sur la côte est, de Brisbane à Melbourne, asséchées depuis dix ans, n’ont pas reçu de précipitations importantes depuis trois ans et sont arides, attendant d’exploser. Il faut espérer que les météorologues ont raison, que le déplacement tardif de la mousson vers le nord pourrait apporter un peu de pluie vers le sud, plus tard en janvier. Mais on ignore si cela pourra éteindre les incendies. Ce que le reste de l’été et les prochains étés pourraient apporter est de l’ordre de l’impensable.

Et tout ceci a lieu avant que nous ayons atteint les « points de basculement » discutés par les climatologues (...)

avant que nous n’atteignions la phase « emballement » du changement climatique que les élites économiques australiennes continuent d’alimenter pour leur plus grand profit (...)

avant que nous n’atteignions la phase « emballement » du changement climatique que les élites économiques australiennes continuent d’alimenter pour leur plus grand profit (...)

Contrairement à l’apocalypse biblique, cette saison des feux apparemment interminable n’est pas un acte de Dieu. Les personnes les plus puissantes sur Terre, et en Australie, ont fait des choix qui ont conduit à cela — des choix spécifiques dans l’intérêt du profit et du pouvoir. Et ils ne s’arrêteront pas seulement à cause des feux — pas tant qu’il y aura encore du profit à faire et du pouvoir politique à détenir. (...)

Aucun sauveur ne nous délivrera. La seule voie à suivre est de construire un mouvement de masse radical qui puisse défier et finalement renverser le credo de nos dirigeants, leur vraie religion, leur alpha et leur oméga : leurs profits et leur pouvoir. (...)

Lire aussi : (mai 2009)

Une « mafia de l’effet de serre » pollue l’Australie

Les feux de forêt qui ont ravagé l’Australie au début du mois de février, et qui ont fait plus de deux cents victimes, ne sont pas directement liés au changement climatique mais, estiment nombre d’experts, il est clair que celui-ci y a joué un rôle important. Ce pays est l’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre par habitant. Mais comment prendre des mesures efficaces quand les lobbies des industries les plus polluantes sont incrustés au sein même du gouvernement ? (...)

L’année 2008 a, en effet, été marquée par le revirement de M. Rudd, oublieux des promesses qui l’ont mené au pouvoir, en octobre 2007, après plus de onze ans de mandat du libéral John Howard (1996-2007). Le 15 décembre suivant, M. Rudd annonçait que l’Australie fixait le taux de réduction des gaz à effet de serre à 5 % par rapport à l’année 2000, tout en « envisageant » de le porter à 15 %. Le rapport sur la taxation des émissions de gaz à effet de serre (Emissions Trading Schemes, ETS) que lui avait remis, à la fin octobre, l’économiste Ross Garnaut recommandait quant à lui une diminution de 25 % d’ici à 2020, soit un taux de 450 ppm (1) à partir de juillet 2010.

Au lendemain de la publication de ce document, seize spécialistes australiens travaillant en association avec le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) avaient tiré la sonnette l’alarme dans une lettre ouverte à M. Rudd : « Si l’on ne veut pas que le Groenland fonde, que la calotte glaciaire de l’Antarctique soit déstabilisée et que les écosystèmes s’effondrent, il faut stabiliser les niveaux de CO2 à 400 ppm, voire en dessous (2). » Peine perdue. L’Australie, sixième pays le plus pollueur en dioxyde de carbone (qui n’est que l’un des divers gaz à effet de serre) par habitant derrière le Kazakhstan, le Luxembourg, les Etats-Unis, le Canada et l’Arabie saoudite, paraît devoir rester dans ce triste peloton de tête. Mais pourquoi et comment M. Rudd a-t-il retourné sa veste en quelques mois ?

Le 3 décembre 2007, en prenant ses fonctions de premier ministre, il avait immédiatement ratifié le protocole de Kyoto, mettant fin aux blocages, voire aux régressions, qui ont caractérisé durant douze ans la gestion de son prédécesseur, issu d’un regroupement politique de droite appelé la coalition et comprenant le Parti libéral d’Australie et le très minoritaire Parti national d’Australie.

Le pays revenait alors de très loin : fidèle allié de M. George W. Bush, M. Howard a mené une politique économique totalement dépendante des lobbies miniers et énergétiques australiens. Ceux-ci sont d’autant plus liés que l’Australie produit son électricité grâce à des centrales thermiques au charbon. Mais ces puissants lobbies n’ont pas simplement usé de leur influence : organisés depuis longtemps, ils ont participé directement et secrètement, pendant des années, à l’élaboration et à la rédaction des législations du gouvernement Howard sur l’environnement, afin de protéger leurs intérêts immédiats sous de pseudo-labels « verts ».

Le scandale éclate lorsque, en février 2006, M. Guy Pearse, ancien collaborateur de M. Robert Hill, ministre de l’environnement de M. Howard, révèle l’existence de la « Greenhouse Mafia », ou « mafia de l’effet de serre ». Il s’agit d’un groupe de cadres et de dirigeants dont les entreprises appartiennent à l’Australian Industry Greenhouse Network (AIGN) et qui dépendent toutes des énergies fossiles — charbon, plastiques, pétrole, ciments, acier, aluminium, ainsi que la chimie et l’automobile (3).

Toutes ces personnalités ont bénéficié au fil des ans de la complicité d’au moins huit membres du gouvernement Howard, dont les ministres des finances, de l’industrie, de la pêche, du tourisme, de l’enseignement supérieur, ainsi que de celle du président du Comité pour la protection de l’environnement. Le résultat de cette convergence au plus haut niveau de l’Etat ne s’est pas fait attendre : campagnes publiques niant la réalité et la gravité des problèmes liés au réchauffement climatique ; discrédit jeté sur les groupes de pression environnementaux, qualifiés d’« extrémistes gauchistes » ; promotion de mesures prétendument « vertes ». Sans oublier une falsification des objectifs chiffrés en matière de réduction des gaz à effet de serre — entretenant l’illusion que quelque chose était fait —, ainsi que des recommandations protégeant fiscalement l’industrie du charbon. (...)

Pour l’Australie et sa « mafia », le virage « vert » négocié par M.Barack Obama présente un risque. Les membres de l’AIGN avaient en effet été confortés par l’administration Bush dans leur rejet de toute mesure effective contre les gaz à effet de serre.

Là encore, il faut mentionner le rôle de certains think tanks américains, comme le Global Climate Coalition (aujourd’hui dissous), qui, à la fin des années 1990, dénonçait les protocoles de Kyoto en annonçant que ceux-ci mèneraient l’économie des Etats-Unis à sa perte. D’autres organisations américaines plus discrètes, mais tout aussi impliquées dans la défense des intérêts des industries les plus polluantes, ont pris la relève (...)

La longue désinformation du lobby énergétique a réussi à persuader la classe politique, toutes tendances confondues, et la population que ses intérêts économiques à court terme recoupaient ceux de l’Australie à long terme (...)

Aucune action en justice n’a été entreprise contre les membres de la « mafia de l’effet de serre », et il n’existe aucun débat public sur cette situation que le silence des médias nationaux contribue à faire oublier. L’Australie n’est toujours pas sortie de la case « mafia ».