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En Bolivie, sur les terres du lithium
Article mis en ligne le 15 février 2021
dernière modification le 14 février 2021

Uyuni (Bolivia) - C’est un voyage pour s’évader, vraiment, sans réseau, sans accès à internet, où l’on n’existe plus que pour soi et ses compagnons de route... Les paysages sont si étranges qu’ils ne semblent pas de ce monde. La conséquence heureuse d’un reportage sur le retour d’Evo Morales sur ses terres, après un an d’exil en Argentine, qui m’ont notamment menée jusqu’à Uyuni, cette ville aux immenses réserves de lithium sur laquelle l’ancien dirigeant fonde encore tant d’espoirs.

Avec le photographe Ronaldo Schemidt et le journaliste reporter d’images Carlos Reyes, nous avons parcouru bien des lieux d’Amérique latine dans le cadre de nos missions pour l’AFP. Mais cette fois, nous avons eu le sentiment d’être immergés dans une superproduction cinématographique, tant les paysages nous coupaient le souffle.

Evo Morales a commencé son périple à Villazón, une petite ville proche de la frontière argentine. Le voyage était conçu comme un road trip triomphal en convoi, avec une centaine de voitures. Il devait le mener jusqu’à Chimoré, au coeur de la Bolivie cocalera, où l’on vit de la culture de la feuille de coca.

Des milliers de paysans ou de mineurs, presque tous indigènes - avec 41% des 11,5 millions d’habitants la Bolivie est l’un des pays d’Amérique latine qui compte la plus grande population indigène - l’ont attendu pendant des heures dans les différentes villes traversées, répétant à chaque fois la même chose : “Evo est comme nous”. Vêtus de leurs costumes traditionnels, ils ont agité la whipala, le drapeau aux sept couleurs représentant les communautés andines. (...)

Pour notre part, nous avons atterri à Cochabamba (nord), depuis Buenos Aires. Les frontières terrestres étant fermées pour cause de pandémie, c’était la seule porte d’entrée. Puis, nous devions rejoindre Evo Morales à Villazón, à plus de 1.000 km au sud.

Un défi : à plus de 4,000 d’altitude, des montées, des descentes, des virages, encore des virages, des plateaux, des vallées, des pics montagneux et des déserts... (...)

Heureusement, nous avions pu embaucher un chauffeur bolivien. Les accidents sont monnaie courante. Nous sommes ensuite repartis vers le nord, en sens inverse, mais cette fois avec le convoi.

A Villazón, une ville frontalière, Evo Morales est donc rentré à pied au pays accompagné du président argentin Alberto Fernandez. (...)

“Merci beaucoup mes frères et soeurs, c’est grâce à vos voix que j’ai pu rentrer... Que viva Bolivia” !, a-t-il dit à la foule. (...)

Le lithium, c’est l’obsession de Morales. Vingt-quatre heures après son retour en Bolivie, il a d’ailleurs déjà donné rendez-vous à la presse pour parler exclusivement d’un projet d’industrialisation du lithium, minerai indispensable pour les batteries qui équipent des millions d’ordinateurs portables, téléphones et voitures électriques. Le lithium prend différentes formes, dont le carbonate de lithium, un sel incolore, qui est utilisé dans les batteries de type Li-ion.

Le chef aymara assure que l’arrivée à la présidence bolivienne de son ancien ministre de l’Economie Luis Arce, va relancer les projets qu’ils n’ont pas réussi à mener quand il dirigeait le pays.

“A qui appartiennent les ressources naturelles ? aux peuples sous administration de leur Etat ? Ou aux intérêts privés, au nom du pillage des multinationales ?”, demande Morales lors d’une prise de parole dans l’un des hotels face au salar. (...)

Le lithium nourrit depuis des années les espoirs de la Bolivie, un pays dont 40% des habitants sont pauvres. Mais la corruption, une mauvaise gestion, et la crise politique ont eu raison de ces projets. Un important contrat signé sous la présidence de Morales avec l’Allemagne n’a jamais abouti. Deux autres, passés avec la Russie et une entreprise chinoise sont paralysés par la crise sanitaire.

“Nous sommes convaincus que deux ou trois pays seulement seront amenés à fixer le prix du lithium au niveau mondial. C’est une question de souveraineté, c’est entre nos mains ”, assure encore Morales. (...)

Le prix de cet “or blanc”, indispensable aussi aux pays riches a flambé ces dernières années. Entre 2008-2015 il était en moyenne de 4.300 dollars la tonne. En 2018 il a atteint un sommet, à 16.500 dollars.

Les cours ont ensuite chuté en raison d’une offre trop importante sur ce marché où l’Argentine, deuxième pays ayant les plus importantes réserves (19 millions de tonnes), et le Chili, le troisième (neuf millions), forment avec la Bolivie le “triangle du lithium”. (...)

Mais Benny Hinojosa, une vendeuse rencontrée à Uyuni, ne croit plus au miracle. “L’ancien président nous a dit qu’il va lancer un nouveau plan de développement, mais il n’ont rien fait, en douze ans”, dit-elle.

Avant notre départ, la guide Jenny Mamani, 28 ans, nous conseille de faire une halte au cimetière de trains et locomotives abandonnés qui se trouve aux abords de la ville d’Uyuni. C’est une des attractions touristiques les plus prisées. Des vestiges de l’époque où l’on exploitait ici des mines d’or, d’argent et d’étain notamment. (...)

J’ai senti que je voyageais dans le passé, dont il ne restait que ce tas de trains rouillés. Et je me suis dit, que pour beaucoup d’habitants d’Uyuni, le projet du lithium... pourrait subir le même sort. Un rêve de progrès, suivi d’une mort prématurée, que l’on accepte avec fatalisme, à l’image de l’inscription trouvée sur l’une des locomotives : “Ainsi va la vie”.