Cela aurait pu constituer une belle victoire contre la corruption et les circuits financiers opaques. Et devenir un outil efficace aux mains des Etats pour lutter contre l’évasion fiscale pratiquée par les multinationales. Le Parlement a voté cet automne une loi imposant des obligations de transparence aux entreprises du secteur extractif, comme Total, Areva ou GDF Suez. Mais le gouvernement a refusé d’aller jusqu’au bout, et d’écouter les députés qui souhaitaient que cette obligation soit la plus complète possible. Les bénéfices pourront continuer de fuir vers les paradis fiscaux. Et l’argent du pétrole, de l’uranium ou du minerai s’évaporer dans une myriade de filiales.
Que fait Total aux Bermudes ? C’est l’une des questions que se sont posés plusieurs députés à l’occasion du vote de la loi française sur la transparence des entreprises extractives et forestières. Ces sociétés, comme Total, Areva, GDF Suez ou Eramet, exploitent les sous-sols dans le monde entier pour leurs ressources pétrolières, minérales ou uranifères. Combien reversent-elles aux pays, souvent pauvres, en question ? Où circulent leurs bénéfices ? Quelle activité réelle cache une succursale dans les Caraïbes ou sur les îles anglo-normandes ?
La France est le premier pays à transposer ces directives européennes dans son droit national [1]. L’objectif : s’assurer que les multinationales françaises du secteur extractif divulgueront bien leurs paiements aux États, comme le prévoit le texte européen. Cette transparence est un élément essentiel dans la lutte contre la corruption, dans un secteur réputé pour son opacité. Appliquée correctement, la loi pourrait ainsi permettre de savoir ce que Total dépense en Birmanie, au Yémen ou au Gabon en échange de l’exploitation de leur pétrole. Elle fournira des informations précieuses aux administrations chargées de la lutte contre l’évasion fiscale et à la société civile qui se penchent sur les revenus liés aux ressources naturelles.
Une quarantaine de députés français ont souhaité aller encore plus loin. Ils ont proposé un amendement obligeant les entreprises à publier un reporting complet pays par pays. « Seul un tel reporting permet de détecter les pratiques abusives de transferts de bénéfices, et l’évasion fiscale. Cela implique d’avoir des informations non seulement sur les paiements faits aux gouvernements, mais aussi sur les chiffres d’affaires, les bénéfices, les effectifs et les subventions reçues par toutes les filiales des entreprises, dans tous les pays, y compris les paradis fiscaux », plaide Lucie Watrinet de l’ONG CCFD-Terre Solidaire.
Les filiales fantômes foisonnent (...)
le fait de négocier en secret les conditions fiscales d’un contrat est vivement critiqué par la société civile. Les associations dénoncent notamment les exemptions fiscales que des entreprises peuvent obtenir, ainsi que les risques de corruption quand les impôts font l’objet de tractations confidentielles. Ce qu’illustre à sa manière la vive contestation qui a accompagné la renégociation des contrats miniers d’Areva au Niger. Durant des décennies, Areva s’était assuré divers avantages fiscaux à travers des conventions minières signées sans contrôle démocratique ni information de la société civile. Au moment de leurs renégociations, l’année dernière, l’entreprise a refusé de se soumettre à la législation de droit commun [7]. En imposant plus de transparence, la nouvelle loi française pourrait permettre de savoir ce qu’Areva paie pour l’uranium nigérien, mais aussi pour celui du Canada ou du Kazakhstan, ses deux autres principales sources d’approvisionnement. Une façon de pouvoir comparer les différentes conditions d’exploitation, et d’y voir un peu plus clair sur les régimes fiscaux. Rappelons que l’Etat français est propriétaire d’Areva, et possède des actions dans d’autres entreprises du secteur extractif...
L’hostilité des entreprises pétrolières et minières aura-t-elle influé sur la transposition finalement retenue. C’est ce que suggèrent la trentaine d’organisations de la société civile qui ont suivi les débats (...)
Contrats négociés à huis-clos, flux financiers opaques, affaires de corruption… l’histoire des entreprises extractives et forestières est émaillée de pratiques douteuses, qui semblent être devenues pour elles une norme acceptable, et à défendre. Dans cette perspective, la loi française est un premier pas pour lever le voile. Reste qu’elle est encore largement insuffisante pour traquer les milliards d’euros envolés dans les paradis fiscaux. Les populations des États riches en ressources naturelles, souvent parmi les plus pauvres du monde, devront encore attendre avant de savoir comment le pétrole de leur pays est géré via de lointains archipels. (...)