
La France possède le plus grand réseau de voies navigables en Europe. Une barge empruntant canaux et rivières peut transporter autant de marchandises que 200 camions. Alors pourquoi ce mode de transport beaucoup plus écologique a-t-il été totalement délaissé ? Enquête.
Thierry Perez n’a pas choisi par hasard Bon-Encontre, à quatre kilomètres d’Agen. Si c’est dans cette commune de 6000 habitants, située dans le Lot-et-Garonne, qu’il prévoit d’ouvrir au printemps prochain son centre industriel de recyclage de matières plastiques, c’est parce qu’elle est en bordure du canal de Garonne. Un emplacement stratégique pour celui qui pourrait avoir à transporter jusqu’à 30 000 tonnes par an, à mi-chemin entre le bassin bordelais et le bassin toulousain, dans une région qui est le deuxième plus gros producteur de déchets de films agricoles : « Le canal permet de rejoindre facilement les deux bassins, et mon activité ne m’oblige pas à être "just in time", je ne transporte pas des légumes ou de la viande… Le fluvial est donc tout à fait approprié, et une solution alternative par rapport au tout-camion, à l’empreinte environnementale beaucoup plus forte », explique le dirigeant-fondateur de Valoregen.
S’il n’existe pas de chiffre officiel – les parcours n’étant jamais strictement les mêmes entre fleuve et route, la comparaison reste difficile –, il est acquis que le fluvial reste très nettement avantageux en termes d’émissions de gaz à effet de serre, de l’ordre de 4 à 5 fois inférieur à la route (...)
Le plus grand réseau d’Europe, très largement sous utilisé
Oui mais voilà, problème : en dehors des plaisanciers et des navettes touristiques, Thierry Perez a attendu longtemps avant de voir un premier bateau de fret naviguer sur les eaux du canal. « Dans l’annuaire, il y a des milliers de transporteurs routiers, pour à peine une péniche : l’offre de bateliers est bien moins développée. » C’est le paradoxe français : avec 8500 km de voies navigables, la France possède le plus long réseau d’Europe, qui en compte 38 000 au total [1]. Mais elle en est aussi l’un de ses plus faibles utilisateurs (...)
« Il y a au moins cinquante ans qu’on abandonne le fluvial au profit de la route » (...)
Un abandon dont les stigmates sont aujourd’hui visibles le long des canaux, où les goulottes des silos à blés pendent désespérément au-dessus de l’eau, dans l’attente de remplir une péniche qui ne viendra plus… (...)
Canal du midi, Canal de Bourgogne, canal de la Haute-Marne, canal du Loing en Seine-et-Marne, partout, Olivier Razemon, journaliste spécialisé dans les transports [4], observe une même transformation de ces canaux, qui « existent encore mais servent désormais de paysage bucolique pour des balades à vélo, tandis que les bâtiments industriels et de stockage qui les bordent systématiquement à l’approche des agglomérations sont vides ». Ou quand le tourisme fluvial permet de masquer la désertion des canaux dans leur vocation première. Au risque que cet usage de loisirs finisse par entrer en concurrence directe ? « Les principaux investissements aujourd’hui, c’est pour créer des pistes cyclables sur les berges ! Et à Toulouse, les quais historiques sont occupés par des bateaux stationnaires, on ne peut même plus les utiliser pour décharger… » regrette Jean-Marc Samuel.