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la voie du jaguar
En Grèce, l’État s’effondre, les quartiers s’organisent
Article mis en ligne le 9 décembre 2013
dernière modification le 5 décembre 2013

Depuis 2008, de nouvelles formes d’organisation fleurissent au cœur des villes. Des habitants se réunissent à partir de leur lieu de vie pour tenter de reprendre en main la question de leurs conditions d’existence.

Orestis, Athénien francophone installé en France depuis peu, revient sur l’émergence du mouvement des assemblées de quartier.

D’où vient le mouvement des assemblées de quartier  ?

Orestis  : Je dois préciser que ce mouvement est très varié, qu’il est passé par plusieurs étapes et qu’il pourrait être raconté de mille façons différentes. L’idée des assemblées de quartier s’est répandue massivement après décembre 2008. La mort d’Alexis [1], ainsi que les semaines de révolte, d’affrontements et d’occupations qui ont suivi, puis l’agression à l’acide de la travailleuse du métro Konstantina Kuneva [2] sont des événements qui ont vraiment secoué la société.

Les grandes caractéristiques de cette révolte sont d’une part l’absence de revendications et de demande de réformes, et, d’autre part, son caractère décentralisé dans tous les quartiers d’Athènes d’abord, puis à travers tout le pays ensuite.

Après décembre 2008, la dynamique des actions et des affrontements dans les centres-villes est arrivée à une limite et s’est déplacée dans les quartiers. Avec les assemblées, l’idée de départ était de se doter d’espaces pour se retrouver, sans avoir en tête quelque chose de très concret, mais avec plutôt l’envie de chercher collectivement. C’était une façon de prolonger les liens qui se sont créés pendant la révolte. Beaucoup d’assemblées se sont formées à ce moment-là, mais depuis seules quatre d’entre elles fonctionnent encore en continu. Les autres réapparaissent quand le mouvement social se réveille, comme aujourd’hui ou en 2011 — il y en avait alors une quarantaine à Athènes.

Est-ce que tu peux nous présenter l’assemblée à laquelle tu participes  ?

L’assemblée des habitants de Vyronas, Kasariani, Pagrati (VKP) est implantée dans des quartiers historiquement très populaires  : l’un d’entre eux était même le quartier rouge d’Athènes pendant la Résistance, le quartier que les nazis n’ont jamais pu conquérir. Cette tradition a été cassée au fil des années du fait de l’embourgeoisement des habitants, mais aussi parce que l’État y a implanté une caserne de CRS. Aujourd’hui, ces trois quartiers sont assez mixtes, mais en général ce sont des coins plutôt aisés. (...)

Quel genre d’actions organisez-vous aujourd’hui ?

Nous menons deux grands types d’action : d’un côté, nous défendre contre les attaques du système et, de l’autre, élaborer des pistes et des formes de vie qui nous semblent désirables. Par exemple, en 2010, il y a eu un premier effort de coordination avec d’autres assemblées et collectifs libertaires qui interviennent dans la vie de leurs quartiers autour de la lutte contre l’augmentation du prix du ticket dans les transports publics. (...)

Puis on a participé à toutes les grèves générales depuis 2010, qui ont été sévèrement réprimées. Pendant l’une d’entre elles en particulier, les flics ont attaqué le cortège des assemblées de quartier. Une personne a été envoyée aux urgences dans le coma et a failli mourir ; d’autres ont été très grièvement blessées. Ce sont des moments qui nous ont beaucoup rassemblés, ça a aussi consolidé notre détermination. On bloquait les supermarchés et les centres commerciaux de notre quartier pour faire de cette grève une vraie grève, pour que personne ne consomme. On a aussi essayé d’encercler le Parlement pendant que les députés votaient le deuxième cycle des mesures d’austérité. Les assemblées de quartier ont joué un rôle important dans cette mobilisation.

Par ailleurs, on essaie d’avoir une présence permanente dans le quartier, en organisant des manifestations, mais aussi une cuisine collective et la culture d’un jardin squatté pour viser à une autosuffisance alimentaire. On tient aussi un marché au troc une fois par mois sur différentes places. Nous avons également un local où nous organisons diverses activités, des projections, des discussions et mettons à disposition une bibliothèque du quartier.

Toutes ces actions et ces pratiques cherchent à casser l’individualisme et le pessimisme qui sont présents partout en Grèce avec la crise, de lutter contre le cannibalisme social que l’État promeut indirectement comme une solution à la crise. (...)

Avez-vous souvent affaire à Aube dorée ?

Après son entrée au Parlement, et grâce aux financements qui vont avec, Aube dorée a ouvert des bureaux dans tout le pays. À chaque fois qu’ils inaugurent une nouvelle antenne, il y a des contre-rassemblements qui débouchent souvent sur des affrontements avec la police. Sans la protection de celle-ci, ils ne pourraient jamais affirmer leur présence dans les quartiers. Heureusement, pour le moment, ils n’ont que deux commissions de quartier vraiment actives à Athènes. Dans des quartiers populaires comme ceux de l’ouest, près du port du Pirée, ils exercent une certaine influence. Là-bas, des assemblées de quartier les ont affrontés ouvertement. Dans notre quartier, il n’y a ni présence fasciste ni chasse aux migrants, mais c’est en partie grâce à notre implantation et notre présence en continu. (...)

La volonté de créer des structures fondées sur l’auto-organisation et l’autonomie pose beaucoup de questions : comment les construire en dépassant les logiques de charité et de philanthropie ? Comment créer ton autonomie dans un environnement où on t’a tout volé, où tu n’es plus capable de produire quoi que ce soit par toi-même, surtout en situation urbaine ? Comment faire pour que les gens participent vraiment ? Quand on organise des cuisines collectives ou du troc, on doit constamment expliquer le fait qu’on n’est pas simplement un service de distribution. Je crois qu’il n’y a pas de réponse satisfaisante par rapport à ça, il faut surtout avoir de la patience. Ce que je vois, c’est que dans les assemblées qui deviennent très massives, les gens ont tendance à déléguer les tâches et à se faire représenter par un petit nombre ; alors que plus il y a des relations personnelles et des contacts entre les gens, plus le partage est égal. C’est une question de relations. Mais rares sont ceux qui pensent qu’on peut vivre par nous-mêmes, sur la base du consensus et du dialogue, qu’on peut prendre nos vies en main.

J’ai pourtant l’impression que plus l’État et le système économique s’effondrent, plus ce genre de « zones grises » se développent et plus d’autres modes d’organisation et de relations deviennent possibles. C’est en cela que le rôle des assemblées va être crucial. Il ne faut pas seulement garder la braise chaude, il faut aussi faire en sorte que le feu dure longtemps. De nouvelles structures se mettent en place tous les mois en Grèce. De ce point de vue, ce mouvement est sur la bonne voie.