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Usbek & Rica
En Italie, les fous sont des citoyens comme les autres
Article mis en ligne le 5 juillet 2018
dernière modification le 4 juillet 2018

Cafés autogérés faisant office de lieux de rencontre et de réinsertion sociale, pet therapy avec des animaux domestiques, inclusion dans des familles d’accueil bénévoles… En Italie, le quotidien d’une personne atteinte de troubles psychiatriques ne ressemble en rien à celui d’un patient français.

Tout ça grâce à une loi de 1978 qui a permis de fermer les asiles et d’inventer un modèle ouvert de prise en charge des patients. Reportage à Turin, épicentre historique de cette approche avant-gardiste du traitement psychiatrique.(...)

« Tu ne sais pas qui est malade »
Cette réalité porte un nom, celui de Basaglia. Basaglia, comme ce café turinois qui accueille les acteurs de Pro Loco, malades ou soignants. Basaglia, comme cette loi de 1978 qui a acté la fermeture des asiles dans le pays. Basaglia, comme le nom de famille de ce psychiatre communiste prénommé Franco, qui profite à l’époque de la vague de liberté qui se répand sur l’Italie pour refonder la prise en charge des « fous ». « Depuis, ces personnes sont à la charge du territoire et soignées près de chez elles. Cela leur redonne de la dignité. » Attablé sur le toit-terrasse du café Basaglia, un après-midi ensoleillé de février, Giancarlo Rossi, psychothérapeute barbu aux yeux fatigués, raconte la genèse de ce café, héritage et hommage au psychiatre qui, dès le début des années 1960, critique les asiles et souhaite redonner des droits aux patients. Dix ans plus tard, il transforme deux hôpitaux, à Trieste et Gorizia, en communautés thérapeutiques. Cette mise en pratique de la critique des institutions psychiatriques débouche ensuite sur la loi du 13 mai 1978.

« Avoir un rôle social, gagner de l’argent, travailler… Tout cela joue sur l’estime de soi »(...)

Depuis cette date, la prise en charge des personnes présentant des fragilités psychologiques se déroule donc en trois temps : les services de la santé mentale (ASL), aux compétences régionales, prennent en charge le patient. Ils mettent ensuite en place un suivi thérapeutique adapté. Vient enfin le temps de la réhabilitation, gérée par les associations. (...)

« Notre objectif, c’est de créer une situation horizontale où toutes les personnes sont symboliquement et physiquement autour d’une même table. Qu’on soit malade ou non, la parole de chacun a la même valeur, affirme-t-il. Pendant l’émission, on ne parle pas de psychiatrie, mais c’est évidemment le message de fond. Le dispositif radiophonique “contient” le délire, en quelque sorte. » (...)

« En renouant le dialogue entre malades et citoyens, on redessine l’image de la folie, qui n’est plus perçue comme une forme de diversité, mais plutôt comme une condition humaine. » Il pointe pourtant certaines lacunes et une tendance à la régression, dans un contexte politique et économique difficile. « L’opinion publique est de plus en plus marquée par la crise, la montée du racisme, et celle du populisme. Forcément, les gens deviennent moins tolérants, moins ouverts, regrette-t-il. Cela abîme largement la tolérance à l’égard des personnes en état de souffrance psychologique, qui se retrouvent alors moins à même de participer pleinement à la vie sociale. Pourtant, ces personnes sont toujours nombreuses. N’oublions pas que la dépression est la deuxième maladie la plus répandue dans le monde aujourd’hui… »(...)

Marche des fous
Si les Italiens semblent aujourd’hui moins indulgents à l’égard des personnes en souffrance psychologique, la capacité d’autogestion des malades, elle, ne laisse pas voir le moindre signe d’essoufflement. La preuve avec l’organisation annuelle de cette Marche des fous, désormais célèbre à Turin(...)

C’est une démarche entièrement organisée par les “cinglés”, les “désaxés”. C’est aussi l’une des manifestations les plus symboliques de la prise en charge de leur destin et de la volonté de marquer leur appartenance pleine et entière au monde qui les entoure, analyse l’éducateur. Malheureusement, comme souvent quand on plonge dans cette réalité, tout n’est pas rose. Le fondateur de la parade, Simone Sandretti, qui souffrait d’une forme sévère de maniaco-dépression, s’est suicidé en février 2016. Repenser la psychiatrie, abattre les murs de l’hôpital, réinsérer les malades, changer les regards, c’est bien. C’est même indispensable. Mais ça n’effacera jamais la douloureuse réalité de souffrances qui peuvent parfois, malgré tous les efforts pour “normaliser” la situation, mener au pire. »(...)

À ce jour, aucun pays occidental n’est allé aussi loin que l’Italie en matière d’inclusion du fou dans la cité, même si certaines initiatives locales font souffler l’esprit de Basaglia au-delà de Turin, notamment de l’autre côté des Alpes. En France, une maison relais installée dans un ancien couvent propose ainsi d’accueillir « les invités au festin ». Ouverte en 1999 par la psychiatre Marie-Noëlle Besançon à… Besançon, la Maison des sources s’inspire directement de la pensée de Franco Basaglia. Sur place, treize pensionnaires se prennent en charge, dans un espace faisant le pont entre l’hôpital et la société extérieure.(...)

l’Italie a enfoncé le clou en 2017 en fermant le dernier hôpital psychiatrique judiciaire. Ici, depuis une loi de 2014, même les patients psychiatriques considérés comme dangereux, ceux ayant commis un délit ou un crime, ont le droit d’être considérés avant tout comme des citoyens. Une nouvelle avancée qui ne doit pas masquer la réalité parfois tragique de ces personnes en souffrance, même dans le cadre d’un modèle de réhabilitation sociale aussi avant-gardiste. Il n’empêche, c’est en Italie que la médecine de l’âme a amorcé son retour vers le futur. Puisse ce modèle essaimer ailleurs, afin de « rendre la folie à la société » et de continuer à « développer le potentiel soignant du peuple », comme l’appelait de ses vœux le psychiatre français Roger Gentis, ennemi acharné de l’enfermement asilaire.