
Le syndrome de résignation touche des jeunes demandeurs d’asile. Ils tombent dans une inertie totale, pendant des mois.
Début avril, le New Yorker a publié une géniale enquête sur l’"Uppgivenhetssyndrom" ou "syndrome de résignation". Une maladie psychique qui touche, en Suède, les enfants d’immigrés dont la demande d’asile n’est pas encore accordée ou sur le point d’être refusée.
Ce sont des jeunes gens, en général entre 8 et 15 ans, qui se mettent intégralement en veille pendant des mois : ils restent en position allongée, sont nourris par intraveineuse, ne réagissent plus à aucun stimuli (même à une grande douleur). Et personne ne peut dire s’ils nous entendent :
"Ces enfants apathiques incarnent leur blessure psychique : comme ils se sentent complètement impuissants, ils le deviennent littéralement."
C’est en lisant le magazine qu’on a découvert, comme beaucoup de monde, une maladie qui fait parler d’elle en Suède depuis 20 ans (aucune entrée sur le Doctissimo français, qui montre ainsi ses faiblesses). Pourquoi n’a-t-elle pas traversé les frontières ? Va-t-elle le faire un jour ? Sa petite surface d’action doit-elle la rendre moins crédible ?
Le corps se liquéfie
En Suède, cette maladie fait partie des meubles. Entre 2000 et 2005, plus de 400 enfants sont tombés dans cet état. Et si aujourd’hui, l’épidémie apthatique est passée, des enfants continuent chaque année d’entrer en léthargie. Tout le monde sait de quoi il s’agit. (...)
En décembre 2015, après avoir lu une lettre du bureau d’asile refusant le titre de séjour de sa famille, ses parents n’étant pas capables de déchiffrer le suédois, Georgi est allé s’affaisser dans sa chambre :
"Il dit que son corps a commencé à se liquéfier, que ses membres sont devenus mous et poreux. Il voulait simplement fermer les yeux. Même avaler sa salive lui demandait un effort qu’il n’était pas sûr de pouvoir faire. Il a senti une pression importante à l’intérieur de sa tête et de ses oreilles. Le matin, il a refusé de sortir de son lit et de se nourrir. Son frère Savl a essayé de lui faire ingérer du Coca à la petite cuillère, mais le soda a coulé sur son menton."
Ce n’est que quelques semaines après l’obtention de l’asile permanent, en juin 2016, que Georgi est sorti de sa "prison de verre". En ce printemps 2018, tout est revenu dans l’ordre, nous écrit par mail la docteure suédoise qui suit la plupart de ces enfants malades.
"Georgi s’en sort bien à l’école et en sport."
Est-ce une vraie maladie ?
Près de 20 ans après les premiers cas du syndrome de résignation, et après qu’une multitude d’articles scientifiques a été publiée sur le sujet, plus personne en Suède ne conteste la réalité de cette maladie qui s’arrête (si bizarrement) aux frontières du pays. Mais pendant un temps, les enfants d’immigrés ont été soupçonnés, notamment par l’extrême-droite suédoise, de faire semblant d’être malades pour obtenir l’asile.
Il était difficile de croire à une maladie aussi premier degré. "Comme je ne veux pas être expulsé du pays, je me couche dans un lit."
Pourtant, comme l’explique très bien le New Yorker, il arrive souvent que la maladie psychique s’exprime avec des symptômes très démonstratifs. Dans les années 1980, en Californie, 150 femmes cambodgiennes, qui avaient vu leurs familles torturées par le régime de Pol Pot, ont perdu la vue, rappelle le journal.
"Le trouble est un langage", nous dit de son côté l’anthropologue et psychiatre Richard Rechtman (...)
Aucun cas en France
Le syndrome de résignation n’a pas "encore" été observé sur le territoire français, confirme Thierry Baubet, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital Avicenne (Seine-Saint-Denis).
"J’ai suivi les publications suédoises de loin en me disant ’tiens donc’. Nous avons échangé avec mes collègues, ils n’en ont pas observé non plus."
Le médecin dit lui aussi que la "mise en forme" d’une maladie mentale "se fait par la société". La souffrance trouve, à un moment, un canal d’expression commun, grâce à un phénomène de médiatisation (journaux, publications médicales, réseaux sociaux ou bouche à oreille).
Thierry Baubet raconte que dans les années 1980, une épidémie de personnalités multiples a eu lieu aux Etats-Unis.(...)
C’est le repérage clinique qui est transitoire, pas la maladie, pense le psychiatre et psychanalyste Richard Rechtman qui refuse de faire la différence entre des "vraies" et des "fausses" maladies mentales (qui seraient l’expression du trauma). Pour lui, aucune maladie n’échappe au langage social qui l’enrobe.
"A chaque fois, et tout autant pour la schizophrénie ou la bipolarité, des configurations particulières se mettent en place entre des cliniciens, des patients, des associations de patients, des intérêts politiques et journalistiques."
Puis :
"Vous êtes en mesure, en tant que journaliste, de faire émerger un phénomène comme le syndrome de résignation."
Un jour, en France, parce que la nouvelle s’est diffusée, des jeunes demandeurs d’asile pourraient entrer dans ce sommeil paralytique qui fait penser à "La Belle au bois dormant".
Ce qui met la journaliste du New Yorker, dont l’article a fait le tour du monde, face à une grande responsabilité (et nous aussi mais dans une moindre mesure). Richard Rechtman :
"Oui, c’est une responsabilité, mais ce n’est pas mal. Ce n’est pas inintéressant de trouver des nouveaux véhicules pour dire le traumatisme qu’on a pris l’habitude de ne plus entendre. Si de nouvelles formes émergent pour dire l’horreur, je serai le premier à me mettre dans des dispositifs pour les entendre."