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Grosse Fatigue Cause toujours
En arriver là.
Article mis en ligne le 7 janvier 2015

Il y a quarante ans mon frère se tuait en bagnole. Les psys accordent une grande importance aux dates anniversaire. Il paraît qu’elles sont gravées dans nos corps comme les Noëls de nos enfances quand nous étions innocents.

Un ami me prévient que Cabu est mort. Puis Oncle Bernard, puis Charb. Puis Tignous. Je pleure à grosses larmes. Voilà donc cette fois-ci que l’on assassine ce qui nous constituait aussi, avec les poèmes de Kipling, les Raisins de la colère, Bach ou Coltrane, le verre de rouge avec les amis, les dimanches à la campagne, les rêves de lendemains qui chantent. Nous étions faits de ceux-là, comme nous étions faits de nos philosophes et de cette épicerie où j’ai mélangé Cioran parfois avec le Professeur Choron, avec Cavana, Pif-Gadget et Rahan, Gai-Luron et Métal-Hurlant. Et j’en passe et tant d’autres... Ces gens-là nous ont créés, ces gens-là nous ont créés, je le sais et me le répète. J’en chiale comme une madelaine de Proust, et voilà donc les monstres à l’œuvre, de ceux qui veulent la guerre, la destruction et la mort. J’entends dans ma tête la musique des Choses de la vie, je suis d’une mélancolie mortelle, j’ai aussi envie de partir, plus rien ne me retient, que fait-on là ? (...)

Nous n’étions pas les enfants de la guerre. Elle est si lointaine dans le temps et dans l’espace. Mais la voilà ici-même, elle va continuer, guérillas, loups solitaires. Tuer l’art et la caricature au nom de choses qui n’existent que dans les têtes.

La grande impuissance me submerge en venant du ventre. En 1975, les gendarmes sont venus ce jour pour annoncer la nouvelle à ma mère. On m’apprit plus tard et presque honteux que je ne reverrais plus jamais ce grand frère qui m’amusait tant, ce magicien, ce clown. La grande impuissance revient là, maintenant, au fond de mon ventre. Ma vie familiale et notre vie publique se croisent pour se détruire, je sens que je m’en vais, que ce poids dans l’estomac me crie de revenir en arrière, de trouver le bouton, revenir juste disons, il y a un an. Ou juste hier soir.

Revenir en arrière. Voilà l’impuissance.