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En dépit de ses engagements, la France encourage la surpêche
Article mis en ligne le 18 juin 2019

En soutenant la réintroduction de subventions européennes à la pêche, jugées « nocives » par les chercheurs et les ONG, le gouvernement français prend le risque de favoriser la surexploitation des stocks de poissons.

Les 28 ministres européens de l’Agriculture et de la Pêche se réunissent ce mardi 18 juin en Conseil des ministres, à Luxembourg, pour discuter des futures orientations partielles données à la pêche en Europe. Et cela passe inévitablement par la question du financement. Comme l’agriculture, le secteur de la pêche est généreusement subventionné par l’argent de l’Union européenne, notamment via le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Doté de 6,4 milliards d’euros sur 7 ans (pour 2014-2020), ce fonds a toujours été présenté comme ayant pour mission principale d’aider les pêcheurs à mettre en place des pratiques plus durables. La réunion du jour a pour but de définir comment seront utilisées les subventions pour la période à venir, 2021-2027. Et les enjeux pourraient être plus grands qu’ils n’y paraissent.

Il y a quelques semaines, les trois pays qui bénéficient le plus des subventions à la pêche — l’Espagne, la France et l’Italie — se sont mis d’accord pour demander des changements de règles de répartition et d’attribution. Parmi ceux-ci figure notamment l’appui à la construction navale et à la modernisation des flottes, demandées par les représentants des pêcheurs européens.
« Des aides déguisées à la construction pour construire des chalutiers jusqu’à 24 mètres » (...)

« Jusqu’à la fin des années 1990, on a massivement subventionné la construction de bateaux, ce qui a entraîné une surcapacité des flottilles. L’Europe était devenue un très mauvais élève, où près de 90 % des stocks de poissons étaient surexploités, explique Didier Gascuel, professeur en écologie marine à AgroCampus Ouest. Puis, on a subventionné la casse de navires, et arrêté complètement en 2005 de financer les nouvelles constructions, pour arriver aujourd’hui à un équilibre avec moins de bateaux, pour plus de poissons, puisque les stocks sont remontés légèrement ces dernières années. Renverser la tendance est une grave erreur. »

D’autant plus que, soulignent les chercheurs et les ONG, ces subventions jugées « nocives » vont aussi à l’encontre des engagements pris par les pays membres de l’UE et sont donc une contradiction politique. (...)

L’ONG Bloom est montée au front depuis que le Parlement européen a validé en avril une première orientation pour, notamment, élargir les aides à de plus gros bateaux de pêche. « On a observé un détournement de l’objectif initial du FEAMP, qui voulait au départ aider les petits patrons, jeunes, à acquérir un bateau d’occasion, en des aides déguisées à la construction pour construire des chalutiers jusqu’à 24 mètres [contre 12 aujourd’hui] », réagit Mathieu Colléter, responsable science et relations institutionnelles, chez Bloom. Alors que les subventions de ce fonds sont à l’origine destinées à aider les « pêcheurs-artisans », les nouvelles règles pourraient, d’après lui, faire rentrer comme bénéficiaires les pêcheries de type industriel et mettre à l’eau un plus grand nombre de bateaux, ce qui produirait de nouveau la surcapacité des flottes. (...)

Les ONG craignent ainsi que la pression n’augmente à nouveau sur les populations de poissons qui commençaient justement pour certaines à mieux se porter et qu’on débute un « retour en arrière », alors que des efforts pour préserver la durabilité de l’exploitation des ressources halieutiques ne sont toujours pas satisfaisants. Aujourd’hui, 69 % des stocks de poissons européens restent en moyenne surexploités. En Méditerranée, ce serait même 96 % des stocks de poissons qui seraient en situation de surpêche. Quelques jours après le discours de politique générale prononcé par le Premier ministre, Édouard Philippe, qui invoquait des intentions d’« accélération écologique », les spécialistes s’étonnent que la France cherche à user de son influence diplomatique pour aller à l’encontre de ses engagements.

« Jamais, nous n’avions assisté à un tel recul environnemental. Jamais, le hiatus ne fut plus grand entre les discours et les actes d’un Président. Jamais, l’équipe de Bloom n’avait atteint un tel niveau de désespoir et d’impuissance », écrit l’ONG, qui a adressé une lettre ouverte la semaine dernière au Président Macron. (...)