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Enchaînés : les esclaves de Sumatra
Article mis en ligne le 5 février 2014
dernière modification le 2 février 2014

Les descendants d’esclaves indonésiens amenés à Sumatra par les colons hollandais au siècle dernier pour travailler dans les mines continuent de vivre dans la misère et restent encore considérés comme des étrangers.

"Frères d’un même bateau". Cet écriteau vermoulu est accroché à la terrasse de la maison de Kadul à Sawahlunto, une petite ville de Sumatra ouest. Parler d’une maison est un bien grand mot. Il s’agit d’une baraque en bois aux parois rongées par les termites que cet homme de 55 ans a héritée de son grand-père et qu’il habite avec son fils, sa belle-fille et ses trois petits-enfants. (...)

Pour Kadul et des milliers d’autres gens de Sawahlunto, cette expression fraternelle leur rappelle le destin tragique qui a conduit leurs parents ou grands-parents jusque là. Car ils sont les descendants des "Enchaînés".

Des forçats indonésiens

Les Enchaînés sont des forçats indonésiens que les Hollandais avaient fait venir ici, à Sawahlunto, pour travailler dans les mines de charbon et construire les infrastructures nécessaires à cette activité minière. Ils avaient été "libérés" des prisons de Batavia [actuelle Jakarta], Macassar [sur l’île de Célèbes], Bali, Madura et de nombreuses régions de Java pour mieux se retrouver enchaînés ici.

Ils sont arrivés entre 1892 et 1938 sur des paquebots de croisière dont les passagers étaient des Hollandais et d’autres Européens. (...)

Lorsqu’ils travaillaient hors de la mine, les Enchaînés portaient constamment des fers aux poignets et aux chevilles. Certains avaient même tout le corps entravé car les contremaîtres hollandais pensaient qu’ils possédaient des pouvoirs magiques. "A l’entrée de la mine, ils étaient surveillés par des hommes armés de fusil si bien qu’il leur était impossible de s’évader," raconte Fahrie Ahda, un jeune historien de Sawahlunto. (...)

A la mine de charbon, les enfants étaient particulièrement exploités. Kadul entend encore son grand-père lui raconter comment, dans les villages javanais, les enfants étaient enlevés par des voisins, hommes de main des Néerlandais. Puis ces villageois répandaient la rumeur comme quoi les enfants avaient été emportés par des esprits malins. (...)

Aujourd’hui, les descendants des Enchaînés vivent dans le quartier de Tangsi Baru [signifiant “nouvelle caserne”] et aussi sur le lieu-dit Air Dingin [“eau froide”] où se trouve le cimetière des Enchaînés. Mais la vie de Kadul et de Saridan n’est pas très différente de celle de leurs ancêtres. Saridan n’a jamais pu faire d’études et depuis, comme ses milliers d’autres “frères du même bateau”, il vit de petits boulots : chiffonnier, camelot, marchand ambulant de soupe de nouilles. Sa pauvreté ne lui a pas permis de scolariser ses enfants et petits-enfants au-delà du primaire. L’histoire contemporaine continue de faire de lui un paria.

En effet, après l’indépendance et le départ des Hollandais, la mine a été exploitée par une compagnie indonésienne, PT Bukit Asam, puis a fermé en 2000. Sawahlunto est alors devenue une ville fantôme. (...)

Kadul, comme les autres descendants des Enchaînés, n’est pas considéré comme un natif de Sawahlunto, mais comme un “migrant” de Java. Il ne peut donc pas travailler dans la mine de la coopérative populaire ni sur les plantations de latex et de cacaoyers qui sont toutes gérées par le droit coutumier. “L’histoire de nos familles a été vendue au tourisme, mais notre vie n’a pas changé, conclut Kadul. Nous ne sommes plus enchaînés à des fers, mais nous sommes toujours enchaînés à la misère.”