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Entre personnalisation et disqualification, la politique selon « C dans l’air »
Article mis en ligne le 13 février 2017

Réunissant éditorialistes de médias dominants et « experts » acceptant de jouer le jeu de l’émission de France 5, « C dans l’air » produit et reproduit des mécanismes de personnalisation et de disqualification politiques. En traitant de la politique via l’angle des stratégies personnelles, et en braquant la lumière sur quelques candidats bien placés dans les sondages – et pas sur les autres – « C dans l’air » propose un « décryptage » de l’actualité politique bien particulier.

Cette « personnalisation et cette théâtralisation de la vie politique » se retrouve par ailleurs avec le recours au name dropping, pratique consistant à citer des noms et à montrer ses références culturelles – ou politiques, dans notre cas. Une pratique qui, il faut le dire, requiert parfois d’étonnantes qualités d’élocution. Et Christophe Barbier en a :

Oui Valls aurait probablement été en tête juste devant Benoît Hamon s’il n’y avait pas eu la candidature Peillon. Ça resterait un ballotage difficile parce qu’il y aurait toujours le renfort de Montebourg pour Hamon. Mais c’est vrai que symboliquement virer en tête ça serait quand même beaucoup plus confortable pour Valls. De ce côté-là, l’opération Hidalgo-Peillon a fonctionné, c’est-à-dire se débarrasser de Valls d’abord. (23 janvier 2017)

Voilà qui, chacun l’avouera, éclaire considérablement les téléspectateurs à propos des enjeux de la « primaire de gauche »… Une vision de la politique qui se résume aux querelles entre individus, aux alliances et aux trahisons – réelles ou supposées –, et qui relègue à l’arrière-plan, lorsqu’elles sont par miracle évoquées, les questions de fond. Une vision qui est loin d’être l’apanage du seul Christophe Barbier, comme nous avons pu le vérifier par une étude attentive du recours au name dropping au cours des émissions du mois de janvier. (...)

Ceux dont on parle… et ceux dont on ne parle pas

Cette méthode présente un autre atout, c’est qu’elle permet d’entrevoir de qui on parle… et de qui on ne parle pas.

Les acteurs politiques les plus cités sont (surprise !) Emmanuel Macron (son nom a été prononcé 471 fois, soit une fois toutes les minutes trente), François Fillon (441 fois) et Manuel Valls (403 fois). (...)

Et puis il y a ceux, et surtout celles dont on parle peu. Avec seulement trois noms parmi les vingt les plus cités, les femmes politiques sont bien moins évoquées que leurs collègues masculins. Au total, 14,5% des personnes évoquées sont des femmes. Moins de femmes politiques donc, qui recueillent encore moins de citations (à peine 7,1% du total des citations !).

Enfin, il y a les invisibles, celles et ceux dont on ne prononce pas le nom, parfois appelés ailleurs « petits candidats » : Yannick Jadot (cité trois fois), Nicolas Dupont-Aignan (cité deux fois), Philippe Poutou (jamais cité), Nathalie Arthaud (jamais citée) [3]. (...)

Disqualification politique

Être cité n’est toutefois pas une garantie d’être bien traité, car les déséquilibres quantitatifs se doublent de distorsions qualitatives. Il y aurait ainsi, d’un côté, des acteurs politiques sérieux, et de l’autre des candidatures insolites, directement disqualifiées. (...)

La disqualification se retrouve aussi dès qu’il est question de la gauche de gauche, celle qui, selon la plupart des commentateurs, ne voudrait pas gouverner. (...)

Suite logique, cette gauche qui ne veut pas gouverner est irréaliste, « utopique », voire « blanquette de veau » (sic) :
 « [Jean-Luc Mélenchon] peut bénéficier d’un attachement romantique désespéré à la gauche. C’est-à-dire qu’un électeur qui se dit "bon c’est foutu pour 2017 […] est-ce que le meilleur vote ce n’est pas un vote authentiquement de gauche, de gauche à l’ancienne, de gauche blanquette de veau, de gauche romantique, à savoir Jean-Luc Mélenchon ?" Ça fait du bien à la gauche, de voter Jean-Luc Mélenchon, pour quelqu’un qui a toujours considéré que la gauche devait servir les ouvriers, les prolétaires et l’égalité. On sait bien que ce n’est pas une solution d’avenir pour exercer les responsabilités et gouverner un pays mais c’est une solution de cœur pour un vote désespéré en 2017 » (Christophe Barbier, 17 octobre 2016). (...)

De toute évidence, si les commentateurs invités dans « C dans l’air » parlent souvent de Jean-Luc Mélenchon (son nom a été prononcé plus de 200 fois au cours des quatorze émissions étudiées), cela ne signifie pas qu’il rentre dans le cadre « autorisé » (...)

Ce pluralisme des idées est à l’image de l’échantillon peu hétérogène de chroniqueurs, éditorialistes et journalistes auquel France 5 a fait appel pour disserter à propos de cette actualité politique chargée. Ces invités travaillent habituellement dans les médias dominants (...)

Ainsi, malgré le départ d’Yves Calvi, on retrouve toujours les mêmes cuisiniers (et les mêmes recettes) sur le plateau de « C dans l’air » : la situation est en effet très semblable à celle que nous relevions en mai 2014, avec notamment le même trio de tête en ce qui concerne les médias les plus représentés (Le Monde, Le Figaro et L’Express).

Une remarquable continuité qui explique sans doute pourquoi la tambouille est toujours aussi indigeste…