
Rapides et étendues, les conquêtes militaires de l’Etat islamique en Irak et en Syrie stupéfient le monde. Elles profitent de la décomposition des Etats au Proche-Orient et contrarient la stratégie des Etats-Unis. Pour « extirper le cancer » djihadiste, M. Barack Obama prétend compter avant tout sur les acteurs régionaux. La focalisation sur cet épouvantail commode épargne à tous des remises en question douloureuses.
(...) L’Etat islamique, ce mouvement djihadiste qui contrôle désormais une grande partie du nord-est de la Syrie et du nord-ouest de l’Irak, apparaît aussi déterminé et sûr de lui que la région qui l’entoure est confuse. Il ne constitue en rien un nouvel Etat, puisqu’il rejette la notion de frontière et se passe largement d’institutions. En revanche, il nous en apprend beaucoup sur la situation du Proche-Orient, et notamment sur celle des Etats de la région, sans parler des politiques étrangères occidentales. (...)
Si l’Etat islamique effectue un retour spectaculaire aux affaires, une faible part du mérite lui en revient. Ses ennemis déclarés, dont la liste, impressionnante, forme une sorte de Who’s Who de la scène stratégique régionale, lui ont ouvert un boulevard. Les régimes du premier ministre irakien Nouri Al-Maliki et du président syrien Bachar Al-Assad, d’abord, qui ont utilisé tous les moyens possibles et imaginables — et même inimaginables, dans le cas des armes chimiques en Syrie — pour combattre, au nom d’une prétendue « guerre contre le terrorisme », une opposition sunnite qu’ils s’étaient évertués à radicaliser. Leurs partenaires de circonstance, Washington dans un cas et Moscou dans l’autre, ensuite, qui les ont encouragés. L’Iran, qui a fait plus que leur offrir un soutien inconditionnel : dans le monde arabe, Téhéran poursuit une politique étrangère qui se résume de plus en plus à l’entretien de poches de miliciens chiites, ce qui contribue à la polarisation confessionnelle.
N’oublions pas les monarchies du Golfe, dont les pétrodollars, jetés à tout vent, financent une économie islamiste partiellement occulte. La Turquie, elle, a pendant un temps ouvert grand sa frontière syrienne aux djihadistes venus de France, de Navarre et même d’Australie. Les Etats-Unis, enfin, doivent être jugés par contumace : après une décennie d’agitation insensée sous l’égide du président George Bush, M. Barack Obama a opté pour la posture inverse, à savoir un laisser-faire flegmatique et hautain, alors que des régimes en faillite, en Syrie et en Irak, apparaissaient clairement comme des pépinières de djihadistes. En l’espace de deux ans, non seulement l’Etat islamique a fleuri, mais il s’est repiqué de proche en proche, jusqu’à envahir de grandes villes comme Rakka, Fallouja et Mossoul. Fait marquant : c’est le premier mouvement, dans le monde arabe, à sortir le djihadisme des franges. (...)